La route de Sarajevo
Cette solide étude historique nous a particulièrement intéressés, malgré ses défauts évidents : sa longueur, son abondance qui tourne parfois à la prolixité, son souci de donner les moindres détails et de remonter très haut dans le passé pour mieux expliquer l’événement. Ce sont là des scrupules qui honorent l’auteur, certes, mais ne manquent pas d’indisposer le lecteur, impatient de voir se dérouler la thèse. Celle-ci, résumée en quelques mots, est que les conjurés qui commirent l’assassinat de Sarajevo ont été des rebelles « primitifs », voyant dans le tyrannicide le seul moyen de libérer leur patrie et désireux de hâter l’union des Slaves du Sud ; leur idéologie nationale, tout en étant consciente des grandes idéologies révolutionnaires de l’époque, était cependant en retard sur celles-ci et ils utilisaient des moyens qui sont ceux des faibles. Si l’attentat de Sarajevo a joué dans la genèse de la Première Guerre mondiale le rôle que l’on sait, il ne faut cependant pas y voir relation de cause à effet. Le monde est entré en guerre à la suite de circonstances beaucoup plus amples que la seule question bosniaque, dans une situation internationale explosive où il était certain que l’Autriche-Hongrie désirait écraser la Serbie qui s’opposait à ses ambitions vers les Balkans.
L’auteur se livre à une étude très attachante de ces milieux de jeunes patriotes bosniaques, étudiants ou lycéens pour la plupart, organisés en groupes, en comités, en associations entre lesquels les rivalités n’étaient pas rares, malgré la communauté du but. Ces jeunes activistes, d’ailleurs hantés par les modèles russes et se livrant aussi à des discussions philosophiques sur le bien-fondé de l’attentat politique, hésitant souvent quant au choix des moyens, retenus parfois par des considérations humanitaires, d’une psychologie tourmentée et pourtant sous bien des aspects naïve, peu conscients des éventuelles conséquences de leurs actes au plan des relations internationales, sont décrits avec une minutie remarquable et une objectivité que nous pourrions qualifier de compréhensive et de sympathique. Vladimir Dedijer, professeur yougoslave, ne peut évidemment oublier que Princip et ses camarades recherchaient avant tout la fusion dans un seul État des Slaves du Sud, fusion en grande partie réalisée par la formation de la Yougoslavie en 1918.
L’attentat de Sarajevo est ici étudié, analysé de l’intérieur et non, comme il est souvent fait, de l’extérieur et plus encore à partir de ses suites. C’est une méthode fructueuse et qui nous semble particulièrement démonstrative. On ne peut cependant prétendre – et l’auteur est le premier à l’admettre – que toute la lumière puisse déjà être faite sur cet événement célèbre : trop d’archives demeurent inaccessibles à l’historien. Cependant, le lecteur trouvera certainement un éclairage peu habituel et qui, selon toute vraisemblance, lui paraîtra juste et raisonnable, d’un des grands moments de l’histoire européenne. ♦