La chute irrésistible d’Alexander Dubcek
Maintenant que les événements de 1968 à Prague s’éloignent dans le temps sans que l’actualité de la question tchécoslovaque s’estompe, on peut essayer d’en faire une synthèse et d’en donner une explication. Pavel Tigrid, réfugié politique, écrivain et journaliste connu, a voulu donner une vue d’ensemble du déroulement des événements. Alexander Dubcek est davantage ici un symbole qu’une figure principale. Timide, mal préparé aux grandes affaires, il fait face à la crise avec la volonté de demeurer communiste et le désir de libéraliser le communisme, mais n’a pas l’envergure voulue pour dominer cette dramatique contradiction.
De même, les Tchèques et les Slovaques, endoctrinés par le Parti, se dégagent mal de son emprise tout en voulant ardemment s’affranchir de l’étroite tutelle qu’il impose, et par son intermédiaire, de la toute-puissance de Moscou. Les dirigeants soviétiques « néo-staliniens » n’ont pas, non plus, de leur côté, la détermination farouche de l’ancien dictateur ; mais ils possèdent la force et savent qu’elle est leur seul recours contre une marée libéralisatrice qui partirait de Prague. La théorie des dominos les hante, et, en même temps qu’eux, elle hante aussi les dirigeants des régimes satellites, le régime roumain mis à part. La crise tchécoslovaque est avant tout une crise interne du communisme, entre les conservateurs et les progressistes, l’ironie des mots faisant que les conservateurs sont les partisans de l’extrême-gauche et les progressistes ceux du centre. Le monde assiste aux événements sans pouvoir ni vouloir intervenir, tant la partie est difficile ; car il y a un autre communisme, en Chine, qui pourrait profiter des difficultés européennes. Dès lors, les dés sont jetés. La contradiction ne peut être résolue que par la force. Dubcek s’inclinera, les peuples tchèque et slovaque se résigneront, prisonniers de leur éducation, de leur communisme même qui ne peut s’affadir sans se détruire.
Ce livre, dont nous avons résumé la thèse, est clair, d’une lecture attachante et d’un intérêt soutenu. Bien qu’il soit écrit par un adversaire déclaré du régime, il présente les faits avec un souci d’objectivité auquel il convient de rendre hommage. ♦