Vivre à Moscou / La gageure soviétique
Chez le même éditeur, paraissent en même temps deux livres écrits sur l’URSS par deux journalistes français qui y ont résidé, le premier comme correspondant de l’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française), le second du Figaro. L’un et l’autre décrivent la vie quotidienne dans la capitale et dans les provinces, mais s’efforcent aussi d’établir un bilan des résultats de cinquante années de régime communiste. Georges Bortoli le fait sous forme de notes personnelles rapides, souvent amusantes, dans un ouvrage assez court ; Sacha Simon étoffe davantage ses propos et se livre à une étude plus complète du pays et du régime.
Lorsqu’on lit ces deux livres l’un après l’autre, on se trouve en présence de conclusions pratiquement identiques. Les deux auteurs ont gardé de leur séjour en URSS un souvenir qui les a marqués ; ils se sont attachés à ce pays et plus encore à ses habitants ; mais ils insistent tous deux sur les différences profondes entre le monde communiste et le nôtre, différences si grandes qu’ils jugent difficile que l’un et l’autre se comprennent vraiment. En notant les scènes de la rue, ils apportent un ensemble de données révélatrices de l’état d’esprit du peuple soviétique qui a la valeur précieuse de « choses vues ». En s’élevant au niveau des questions plus vastes, ils rendent hommage aux indéniables réalisations accomplies dans le domaine social, mais en soulignent les imperfections et insistent sur le complexe russe de suspicion envers l’étranger, sur la hantise de l’encerclement, sur le nationalisme des masses et leur patriotisme pointilleux, sur la grave menace qui s’élève aux frontières avec la Chine. Ils sont d’accord sur le caractère illusoire qu’aurait tout espoir de voir l’URSS quitter la voie du marxisme-léninisme, devenu une façon d’être et de penser pour 240 millions d’hommes et de femmes dont quelques dizaines de milliers seulement – les intellectuels – ont le goût de la discussion et de la critique et pourraient remettre en cause, sinon les principes, du moins les applications qui en sont faites par le régime.
Les deux livres se lisent très facilement. Ils apportent ensemble deux témoignages d’observateurs dont on ne saurait récuser la compétence et qui ont recherché la stricte objectivité à propos d’une question qui fait trop souvent l’objet d’études inspirées par des prises de position partisanes. Mais il reste cependant difficile – pour l’écrivain comme pour le lecteur – de se détacher suffisamment d’une actualité immédiate pour juger des choses et des êtres en toute sérénité. Lire ces deux ouvrages est cependant, pour tous ceux qui n’auront jamais l’occasion d’aller vivre eux-mêmes en URSS, un moyen d’y faire un voyage fructueux. ♦