La société française. T. I. 1840-1914
Il est difficile de rendre compte d’un ouvrage qui ne sera complet qu’après la publication du second tome ; tentons cependant de donner une impression sur la présente étude, puisqu’aussi bien elle porte sur une période bien définie de notre histoire. Toute étude sociologique se heurte à la difficulté de grouper, en une véritable synthèse, les conclusions des multiples analyses qu’elle nécessite : l’histoire, la géographie, l’économie, le comportement individuel et collectif, la politique, les passions profondes ou temporaires, la littérature, l’art, sont autant de domaines dans lesquels s’exprime une nation.
Pierre Sorlin n’a pas manqué de procéder à des études minutieuses et consciencieuses, étayées d’exemples individuels et locaux, pour dégager les grandes lignes d’une évolution lente, contradictoire, mais pourtant certaine, qui a fait traverser à notre pays une période « d’adolescence » à laquelle nous songeons maintenant comme à un passé lointain et révolu. Ces analyses juxtaposées et entremêlées présentent un grand intérêt ; elles ne constituent pas encore, à notre avis, une synthèse pleinement satisfaisante. Les chiffres, les statistiques, ont une indéniable valeur ; ils ne rendent cependant pas compte de l’impression que chacun se fait de sa place dans la société et de cette société elle-même ; or c’est dans ce sentiment subjectif, beaucoup plus que dans les faits précis et mesurables, que se trouve la vérité vécue. Une histoire de la société française du milieu du XIXe siècle au début de la Grande Guerre devrait, nous semble-t-il, faire apparaître davantage les différences entre les réalités mesurables et mesurées, et les réalités apparentes et vécues. Par un souci respectable d’exactitude, Pierre Sorlin a voulu multiplier les exemples, indiquer les nuances, faire leur place à tous les courants de pensée et d’opinion. Une certaine systématisation, au risque d’une simplification certaine, serait sans doute plus utile au lecteur qui n’aura pas le temps ni peut-être le goût de se reporter à d’autres ouvrages pour compléter son information et mieux asseoir son jugement.
Ces critiques ne doivent pas masquer l’intérêt de ce travail important, dont l’utilité est flagrante ; au contraire : on exige davantage d’une œuvre lorsque l’on a apporté à sa lecture plus de soin et d’attention. ♦