La question du Québec
La langue, la religion et les traditions ont formé une nation que les événements de l’histoire et l’entreprise systématique d’assimilation par des étrangers n’ont pu faire disparaître. Cette nation veut être indépendante et a tous les droits de l’être ; elle serait économiquement viable, mais surtout, en trouvant son unité et sa liberté d’action, elle atteindrait enfin les conditions de son plein épanouissement.
Marcel Rioux, professeur de sociologie à l’Université de Montréal, est « indépendantiste » avec une passion que double un raisonnement scientifique et logique. Son argumentation a du poids et entraîne rapidement le lecteur ; elle porte sur sa propre thèse, tout autant que sur la réfutation des thèses adverses. Il écrit un livre de combat, qui a la singularité et l’avantage d’être, en même temps, un essai sociologique de valeur, dont les idées sont enrichissantes et peuvent s’appliquer à d’autres groupements humains que celui des Canadiens français.
Il montre d’abord comment s’est constitué le noyau initial, dont le mode de vie et de pensée s’est très vite différencié de celui des Français métropolitains. Puis il fait l’historique de la domination anglaise, qui assimilait les classes supérieures et rejetait au contraire la paysannerie dans un « sommeil », dans une apathie, dans une torpeur que l’Église entretenait au nom d’un conservatisme étroit. Puis, après la modernisation rapide du Canada, dans les premières décennies du XXe siècle, le peuple franco-canadien a soudainement pris conscience de son développement culturel et social, de sa situation inférieure de « colonisé » par rapport à la situation supérieure des anglophones. Cette prise de conscience a été le résultat de l’urbanisation rapide ; elle a provoqué un mouvement de revendication basé sur la perception des valeurs véritables que sont les valeurs culturelles, et déclenché un refus de céder à la facilité d’une anglicisation ou d’une américanisation que certains considéraient comme fatale.
Après 200 ans de résistance passive et presque inconsciente, surtout dans la masse, les élites, suivies par celle-ci, sont passées à une attitude agressive, dans le but de réveiller entièrement le sentiment national plutôt que de nuire directement à « l’occupant ».
Qu’en sera-t-il du Québec, et sa recherche de l’indépendance aboutira-t-elle au succès ? La partie est trop difficile pour que son issue puisse être dès maintenant prédite. Quelle qu’elle soit, « être québécois, c’est accepter de vivre dangereusement », affirme l’auteur en conclusion.
On lira ce livre avec sympathie ; il contient tant de sincérité qu’il émeut autant qu’il instruit.