Mémoires : Suez… le 13 mai
Ce livre est de ceux qui doivent être lus : l’autorité morale de son auteur continue de s’imposer à tous ; la sincérité et l’élévation de son témoignage méritent la plus extrême attention. Le général Ely s’est interdit d’entrer dans l’anecdote ; son œuvre doit être considérée comme un livre de raison. Le moment n’est pas venu de confronter les souvenirs des acteurs des grands drames de notre actualité nationale, qui fera plus tard l’objet des travaux des historiens. Aussi ne chercherons-nous pas à comparer le récit de l’auteur à ceux que d’autres ont déjà faits des mêmes événements. Il nous semble préférable de tirer des leçons abstraites, philosophiques peut-être, de ce qui est dit au lecteur.
Les deux sujets du livre, comme l’indique le titre, sont l’expédition de Suez et la crise algérienne culminant au 13 mai (on se rappelle que le général Ely a quitté ses fonctions de Chef d’état-major général le 1er mars 1961, donc avant le putsch et les accords d’Évian). Dans le récit de l’expédition de Suez, il faut voir avant tout, nous semble-t-il, une très claire démonstration analytique d’une crise internationale majeure ; dans celui de l’affaire algérienne, un exposé lucide et cependant très personnel d’un drame national où l’existence même du pays a été mise en danger. Dans les deux cas, une affirmation du rôle de l’armée, indispensable à la cohésion de la Nation et dont rien, notamment dans les périodes des plus grandes alarmes, ne doit compromettre l’unité.
Mais si les deux aspects sont apparemment séparés, ils demeurent cependant complémentaires. La crise de Suez prouve l’inefficacité d’un appareil décisionnel trop complexe, à la fois au plan interallié et dans chacun des pays en cause ; l’affaire algérienne, le danger d’une autorité unique qui, selon l’auteur, ne fait pas suffisamment participer les grands subordonnés à la connaissance des objectifs véritables et de leur modification selon la conjoncture politique. Ainsi, naissent ce que le général Ely appelle des « malentendus » dont les conséquences ont la violence que l’on sait.
Une aussi courte analyse ne prétend pas donner du livre un résumé ni même une image sommaire. Le lecteur y trouvera de nombreux, sinon d’innombrables sujets de réflexion, qu’il serait utile d’approfondir. Tous ceux qui s’intéressent à la Défense nationale auront certainement à cœur de lire et de méditer cet ouvrage. ♦