Le discours politique a parfois recours à la fable ; pourquoi notre revue ne ferait-elle pas une place à l'allégorie ? C'est plus exactement au mythe que fait appel ici l'auteur pour attirer notre attention sur les périls encourus par les peuples qui se livrent aux excès libertaires et qui ne croient plus à rien, pas même aux lois élémentaires garantes de leur survivance. On reconnaîtra là l'un des thèmes favoris des « néo-gnostiques », cette école de pensée née outre-Atlantique dans certains cercles de savants à Princeton et à Pasadena, à laquelle l'auteur a consacré deux ouvrages remarquables parus chez Fayard : La Gnose de Princeton et Les cent prochains siècles. Ces savants, stimulés par la réflexion sur les anti-paradoxes, cherchent dans une vision nouvelle de l'Univers, de ses lois et de son histoire à réconcilier la science, l'éthique et la religion.
La Boule d'Or ou « La droite, la gauche et la gauche libertaire »
Je commencerai par un mythe. Les Denebiens (1) ont eu longtemps une croyance qui paraissait étrange aux autres peuples civilisés, leurs voisins. Ils tenaient pour article de foi que Dieu habite, non le Ciel, mais le Centre de la Terre, le Point Central de la planète, sous la forme d’une Boule d’Or, parfaitement polie, si parfaitement que les faits et gestes des Terriens de la surface s’y reflétaient comme dans un miroir, malgré toute l’épaisseur solide du globe.
La volonté de Dieu-Boule d’Or était telle : les hommes de la surface devaient penser à lui sans cesse, sans l’oublier un instant, et ordonner leurs mouvements de manière à garder toujours non seulement leur équilibre physique, mais, comme disaient les philosophes denébiens, leur Équilibre moral, ou, comme disaient les prêtres, leur Vertu. S’ils prétendaient un seul instant oublier la Boule d’Or au centre de la Terre, s’ils se mettaient en déséquilibre physique, moral et religieux, leurs mouvements « vicieux » se reflétaient sur la surface de la Boule d’Or, l’esprit de Dieu les connaissait, et il punissait immédiatement le transgresseur en le faisant dangereusement tomber, à moins qu’une bonne pensée, un remords de dernière seconde lui permette de se rattraper à temps et de retrouver son équilibre.
Telle était du moins la croyance officielle. Mais depuis deux ou trois siècles, les libres penseurs, rationalistes et humanistes, de plus en plus nombreux, rejetaient comme superstition et fable la Boule d’Or : « Newton, disaient-ils, a démontré qu’un corps attractif sphérique attire comme si sa puissance d’attraction était concentrée en son centre. Le Point Central n’est qu’un point mathématique, rien d’autre. Le point ne pense rien, ne veut rien et ne punit rien. Il est ridicule de croire qu’un Dieu nous guette. Quand, marchant sur un trottoir humide et en pente, nous glissons et nous nous « étalons », ce n’est pas le manque de respect pour Dieu qui est sanctionné, ce sont les lois physiques. Elles sont exigeantes, et nous devons les respecter. Cela suffit pour notre conduite pratique. »
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