Le Conseil d’État
Cette étude de sociologie politique est une thèse de doctorat d’une lecture facile et fort intéressante, malgré l’apparente austérité du sujet. L’auteur l’a conduite en s’inspirant des méthodes d’analyse propres à déterminer au mieux les composantes d’un organisme qui occupe dans notre pays une place de premier rang et présente, par lui-même, des traits spécifiques dont le public est peu informé.
Le Conseil d’État, dit l’auteur, après avoir brossé un historique sommaire, a une stabilité remarquable, malgré les tensions internes qu’il connaît et les pressions externes dont il est l’objet, notamment pendant les périodes troublées. Il est à la fois le juge du pouvoir et son conseiller, la première mission étant la plus connue, la seconde faisant pourtant, à certains moments et dans certaines occasions, une forte impression, en raison du mystère – ou de l’extrême discrétion – dont elle est entourée. Cette stabilité lui confère, plus que tout autre qualité, son autorité et son prestige, et par suite, son influence sur les affaires du pays. Elle provient de ce que le Conseil d’État forme, non une « organisation », mais un « corps ». Un « corps », dit fort exactement Marie-Christine Kessler, « semble pouvoir être approximativement défini comme un ensemble dont l’unité et la cohérence sont assurées par la contrainte diffuse que représentent les traditions et les solidarités nées de l’exercice d’une même fonction ou de l’appartenance à une même institution ».
Cependant, il apparaît à l’auteur que le Conseil d’État a « un potentiel d’influence » plus grand que la réalité même de cette influence. Respecté, entouré d’une large considération, exerçant ses différents rôles avec une compétence certaine, il n’a pas l’originalité de pensée que l’on pourrait attendre de lui. Son conformisme est celui des hauts fonctionnaires, ainsi que la conception qu’il se fait et défend de la primauté de l’État et de l’ordre que le pouvoir doit faire régner. Ce « grand corps » a donc ses limites, que lui imposent à la fois son recrutement, son organisation interne, les autres grands corps de l’État et le pouvoir lui-même.
On lira avec plaisir cette étude pénétrante, qui fera mieux comprendre la relativité des choses dans un monde complexe et on y trouvera, avec une documentation importante, une vue pertinente sur l’une de nos institutions les plus célèbres, en même temps que la plus ancienne. ♦