L’opposition à Napoléon
« Non, décidément, ce n’est pas le respect du Droit qu’il a enseigné à l’Europe, c’est la religion de la force ». Cette phrase, à la dernière page de cet important volume, nous semble en résumer clairement l’esprit. Les auteurs ont voulu démontrer comment et par quelles méthodes des hommes les plus divers, dans les différents pays européens, et tout particulièrement en France évidemment, ont voulu combattre le totalitarisme de plus en plus absolu du Premier Consul et de l’Empereur, et sauver la Liberté et le Droit. Laissons volontairement de côté le récit des oppositions royalistes et jacobines, de même que les tentatives de révolte des généraux, qui ont marqué la période napoléonienne, surtout dans sa première partie. Attachons-nous plutôt à l’histoire infiniment plus complexe des intellectuels.
Napoléon, qui flétrissait si durement les « idéologues », était cependant l’un d’entre eux : la puissance de son génie aurait dû en faire le chef de file. Mais il était aussi homme d’action, et plaçait l’action avant le Verbe. C’est, nous semble-t-il, une querelle d’école et une totale incompatibilité de caractère qui opposèrent Napoléon et les intellectuels de son temps. Ceux-ci dans leur coterie d’Auteuil, vont longtemps hésiter avant de se prononcer, puis de se résigner. Ils entretiennent d’étroites relations avec les hommes politiques et les Assemblées, tentent de leur insuffler le goût de l’action qu’ils n’ont pas, se laissent aussi berner par des hommes d’État qui, comme Talleyrand, les manœuvrent et se servent d’eux pour arriver à leurs propres fins. Bonaparte leur semble d’abord être « un des leurs », sur lequel ils auront barre et qui se prêtera à leurs théories. Devant l’évidence, ils tentent – assez petitement – de lutter, puis, pour ne pas perdre les avantages de leur situation matérielle ou sociale, se réfugient dans un silence prudent et dans des travaux qu’ils font publier et connaître aux États-Unis, en priant d’éviter que leurs noms soient divulgués. On aimerait que ces opposants aient eu plus de caractère et n’aient pas hésité à s’imposer en face du tout-puissant Empereur, ouvertement. Finalement, la plupart d’entre eux, même les plus grands, transigeront avec eux-mêmes et leurs idées, en attendant que le temps fasse l’œuvre à laquelle ils n’ont pas le courage de se mettre et de s’exposer.
Les auteurs ne cachent pas leurs sympathies pour les opposants au Consulat et à l’Empire ; ils reconnaissent objectivement et le génie de Napoléon, et les insuffisances de ceux qui en étaient les adversaires prudents. Leur ouvrage est un peu touffu, mais se lit aisément, en raison de la thèse qu’il développe et des innombrables anecdotes bien choisies qui, mieux que de longs commentaires, montrent les hommes tels qu’ils étaient, avec leurs grandeurs et leurs petitesses. Parmi les ouvrages si nombreux consacrés cette année à Napoléon et à son histoire, celui-ci mérite certainement une bonne place. Le lecteur y trouvera matière à établir sa propre conviction et sa propre thèse sur les relations de Napoléon avec ceux qui s’opposaient à lui. ♦