Les Vietcongs
Parmi les très nombreux reportages récemment parus sur la guerre du Viet Nam [Vietnam], celui-ci nous a semblé être l’un des plus originaux.
L’auteur, qui ne cache pas sa sympathie pour le Front national de libération, y raconte les séjours qu’il a faits dans la région de Ban Me Thuot, sur les Plateaux du Sud-Annam, et dans le delta cochinchinois. Il a eu l’occasion d’entrer en contact direct avec les guérilleros des Plateaux ; son récit reconstitue fort bien l’atmosphère de la région, fort différente du reste du Viet Nam, et il fait revivre devant nous des hommes que nous reconnaissons, car nombre d’entre eux ont combattu dans nos rangs pendant la guerre d’Indochine. En Cochinchine, il n’a pas eu la même chance ; aussi, ce qu’il en dit est-il beaucoup plus abstrait, plus théorique, plus systématique, et nous ne cachons pas que nous avons été beaucoup plus sensible à la première partie de son témoignage qu’à la seconde.
Ce qui intéressera le lecteur sera certainement la reconstitution d’une ambiance tout à fait caractéristique de la guerre de surface ; les idées s’effacent devant la réalité. Peu importe après tout que les hommes qui nous sont dépeints professent, spontanément ou à la suite d’une éducation fortement dirigée, telle ou telle opinion politique. Ce qui compte, c’est leur foi dans l’entreprise à laquelle ils se sont voués ; c’est aussi la forme de cette guerre, le travail patient, inlassable, à l’échelon de la seule vraie cellule sociale de ce pays, le village. Ce que nous avons connu il y a vingt ans s’est affermi, organisé, perfectionné ; quant au fond, il n’a pas changé ; c’est bien la même forme de guerre, malgré l’amélioration des moyens mis en œuvre.
Mais tout important que soit le plateau du Darlac, il ne présente point, sur le plan général, le même intérêt que le delta du Mékong. Il est regrettable que l’auteur n’ait pu analyser, avec une égale minutie, l’état d’esprit de ses habitants. Il nous montre des Américains voués à leur mission, comme nos officiers SAS (Sections administratives spécialisées) l’étaient en Algérie ; et combien les actions militaires violentes des militaires viennent contrecarrer leur travail. Cela aussi, nous l’avons connu, sous des formes semblables mais à des échelles différentes.
Jacques Doyon a cependant passé trop vite au Viet Nam pour avoir pleinement saisi le sens profond de cette guerre. Son témoignage, aussi pénétrant qu’il soit, reste, moins que les autres, mais cependant superficiel. Nous sommes encore loin d’une nouvelle étude sociologique de la guerre du Viet Nam. Mais des reportages comme celui-ci sont autant de documents qui permettront, espérons-le, de l’écrire un jour. ♦