Bonaparte en Égypte, ou le rêve inassouvi
Le mirage oriental devait exciter l’imagination de Napoléon jusqu’aux dernières années de sa vie. Il fut l’une des causes de l’expédition d’Égypte. La découverte de la vallée du Nil, comme celle du désert, fut, pour le jeune général déjà si célèbre, davantage encore une confirmation qu’un éblouissement. Les deux échecs d’Aboukir et de Saint-Jean-d’Acre, rendirent matériellement impossible la réalisation de son plan ; celui de Trafalgar devait l’empêcher de renaître.
Certes, comme l’a si souvent fait l’Empereur, on peut, après lui, tenter d’imaginer ce qu’aurait pu être un Empire d’Orient dirigé par un des plus grands génies de tous les temps. Le livre de Benoist-Méchin, dont il est inutile de souligner l’attrait, ne raconte pas seulement, une fois de plus, les événements glorieux et tragiques de l’expédition ; il permet plutôt de juger, à partir de ce qui a été réalisé en Égypte en moins de trois ans, ce qu’aurait pu être un pareil Empire, étendu sur toute l’Asie Mineure et sur les Indes.
En Napoléon, on voit, par habitude, le chef de guerre fulgurant, l’administrateur habile et parfois le despote implacable. On voit moins aisément ce qu’en un autre temps on aurait appelé « le grand colonial ». L’expédition d’Égypte montre à quel point il avait le sens de l’action civilisatrice dans les pays attardés, le goût et l’intuition de ce qu’il fallait faire pour hâter leur développement, en faisant directement participer les populations autochtones à leur propre destin. Si l’auteur n’omet point de parler des événements militaires et de les relater au besoin en détail, il insiste surtout sur l’aspect politique et scientifique de l’œuvre de Bonaparte en Égypte, dont les opérations de l’armée n’étaient que la préparation et la condition.
Bonaparte n’avait que 29 ans lorsqu’il débarqua sur la côte égyptienne ; il est entouré d’hommes qui, pour la plupart, ont le même âge ou sont plus jeunes encore. Comme l’écrit Benoist-Méchin, cette expédition est « une épopée de la jeunesse ». Aussi, comme il est logique, marque-t-elle toute une vie ; elle aurait pu marquer toute une génération et bouleverser le monde.
On lira avec un intérêt certain ce livre qui, après tant d’autres, retrace une des pages les plus extraordinaires de l’histoire napoléonienne et, sans longues considérations, suggère, plutôt qu’il n’indique, une motivation psychologique qui agira profondément sur les décisions de l’Empereur, donc sur les destinées de l’Europe.