L’Afrique peut-elle partir ?
Le titre de cet ouvrage est évidemment inspiré de celui d’un livre de René Dumont : L’Afrique est mal partie. L’auteur limite pratiquement son étude à trois anciennes possessions britanniques, le Kenya, l’Ouganda et le Tanganyika. Malgré l’importance de ces pays nouvellement indépendants, il ne semble pas qu’il soit possible de généraliser à toute l’Afrique les observations qui y sont faites. Toutefois, des documents de la valeur de celui-ci se trouvent assez rarement en langue française, dans nos librairies ; ils y sont donc les bienvenus.
La thèse d’Albert Meister est que les survivances anciennes demeurent encore fort vivaces et fortes dans la structure même des sociétés africaines, et s’opposent par suite au « départ » de celles-ci vers le progrès. La résumer en une seule phrase est évidemment en diminuer la richesse et la réduire à sa quintessence. L’auteur a fait une analyse très consciencieuse, un peu longue parfois, de la vie sociale dans les pays d’Afrique qu’il a étudiés. On peut dire que tous les sujets ont été abordés et traités : individu, famille, travail, enseignement, éducation, etc. La démonstration d’Albert Meister s’appuie sur des faits et sur des chiffres qui ne semblent pas discutables ; elle en retire une force qu’il faut souligner.
Nous sommes loin des premiers temps de la décolonisation, où celle-ci était considérée sous son aspect passionnel, comme une sorte de réparation donnée par les anciens colonisateurs aux peuples colonisés : il s’agit maintenant d’une décolonisation dans l’indépendance, d’une décolonisation qui doit se débarrasser des traditions et des structures archaïques et contraires au développement, en somme d’une véritable décolonisation interne. À ce titre, l’ouvrage de l’auteur ouvrira sans doute les yeux des lecteurs qui, ne connaissant pas l’Afrique, ne pouvaient pas soupçonner ce qu’elle contenait réellement.
Pour Albert Meister, le temps est encore loin où l’Afrique pourra « partir » d’elle-même et par ses seuls moyens ; « actuellement, écrit-il, les conditions impliquées par la mise en place d’un programme socialiste raisonné ne sont pas encore réalisées et, en conséquence, le démarrage sérieux d’une politique de développement n’est pas encore possible ». Conclusion sévère, peut-être trop sévère, mais à laquelle il convient de réfléchir.