Les événements des années 1940 demeurent encore suffisamment peu connus dans leur enchaînement et plus encore dans leurs mobiles pour que l’on se félicite de voir publier à leur propos des études sérieuses et fortement documentées. Il a paru tant d’ouvrages sommaires ou partisans sur l’attitude du gouvernement de Vichy et sur sa collaboration avec la puissance occupante qu’il est bon de lire un livre dépourvu de toute prise de position a priori. Claude Gounelle lui-même ne prétend certainement pas écrire l’histoire : il se défend d’apporter une conclusion personnelle à son récit, laissant au lecteur le soin d’établir sa propre opinion à partir des faits qu’il expose.
Il faut d’abord rendre hommage à la conscience avec laquelle l’auteur a fouillé le détail des événements, afin qu’aucun d’eux n’échappe et que chacun puisse apporter un élément de jugement. Cette méthode aboutit à l’élaboration d’un texte fort long, mais cependant toujours d’une lecture aisée.
Les données de la question apparaissent nettement. Lorsque la France doit signer l’armistice, lorsque les Allemands envisagent de lui demander de « collaborer », le sens de ce verbe est tout différent selon celui qui l’emploie. Pour les Allemands, mais surtout évidemment pour Hitler, la collaboration ne peut être qu’une aide en sens unique apportée par la France à sa lutte contre l’Angleterre, tout assortie qu’elle soit de vagues promesses de « récompense ». Pour les Français, la collaboration signifie dans une large mesure un marché où les deux partenaires doivent trouver des avantages ; mais encore, cette conception est-elle diverse ; le Maréchal Pétain, et avec lui la plupart des ministres, considèrent que la collaboration ne peut être que la recherche et l’obtention d’avantages substantiels et immédiats, portant sur la libération des prisonniers, l’amélioration des conditions de vie dans la Métropole, la libre disposition des ressources de nos colonies, sans modification notable des conditions de l’armistice. Le général Weygand, notamment, insiste sur la nécessité de conserver à notre crédit le potentiel de l’Afrique française et de ne pas le diminuer par des trocs douteux. Le président Laval voit les choses d’une autre façon ; convaincu de sa finesse et de son habileté politique, désireux de voir cesser la lutte traditionnelle entre la France et l’Allemagne, il entend aller beaucoup plus loin, et, pour ménager l’avenir, hypothéquer éventuellement le présent. La collaboration, dans ces conditions, ne peut devenir réellement effective, malgré les efforts faits depuis l’entrevue de Montoire, en octobre 1940, jusqu’à l’occupation de la totalité de la France par les Allemands, en novembre 1942, pour lui donner au moins un peu de vie, dans le sens où l’entend chacun des partenaires.
Claude Gounelle a fort bien mené son récit et fort bien dégagé les lignes essentielles, dans cet ouvrage dont l’intérêt ne semble pas avoir besoin d’être davantage souligné.