Au carrefour de trois mondes
Il nous semble intéressant de signaler aux lecteurs ce livre d’un écrivain et diplomate vénézuélien, qui, né au début du siècle, y livre ses réflexions sur la vie. Élevé dans les Andes, au sein d’une famille imbue de traditions, venu à Caracas pour y faire ses études, chassé de son pays et devant vivre de longues années au Chili, puis rentré parmi les siens à la mort du dictateur qui l’avait banni, Mariano Picon Salas a été professeur et diplomate, se refusant de participer aux luttes politiques qui animent et désolent sa patrie. Il est présentement membre au Conseil exécutif de l’ONU.
L’intérêt de cette œuvre est multiple. C’est d’abord une longue réflexion sur la vie. C’est encore une somme de pensées sereines, non sans un certain désabusement, présentée dans un style riche et coloré, auquel l’excellente traduction de M.O. Portier et de M. Serrat rendra sensible le lecteur français. Mais c’est surtout le témoignage d’un homme de lettres hispano-américain sur ses propres réactions devant le destin de son pays, au moment où celui-ci se trouve arraché à son demi-sommeil par la découverte du pétrole et l’invasion des méthodes modernes des affaires. Mieux que de doctes études, sans doute, ce livre peut faire comprendre la nature du choix qui s’offrait et continue de s’offrir à l’élite intellectuelle hispano-américaine, entre ses désirs d’action immédiate, de bouleversements sociaux, d’américanisme et de recherche d’inspiration aux sources de la culture européenne.
Le choix de l’auteur est fait. La jeunesse bouillonnante et peu disciplinée des pays d’Amérique du Sud doit se souvenir qu’elle vient historiquement d’Europe.
C’est en Europe qu’elle doit trouver la maturité, l’Europe des grands esprits qui ont fait la civilisation occidentale et dont les œuvres restent les sommets de la création intellectuelle et spirituelle. Cette filiation ne doit pas être reniée. Elle a besoin d’être réaffirmée.
Ainsi, cet ouvrage, qui pourrait n’être que de souvenirs personnels, s’élargit-il au point d’être une véritable prise de position, dénuée de passion, mais affirmée avec la certitude que donne une sérénité enfin conquise, au soir d’une vie qui s’est déroulée à une époque qui pourrait bien être celle des débuts d’une nouvelle révolution hispano-américaine. ♦