La « révolution permanente » en Chine
Comme dans son ouvrage sur Mao Tse-Toung, Stuart R. Schram donne dans ce livre une substantielle introduction qui occupe la moitié du volume, puis des extraits de textes. La lecture est assez austère. C’est une exégèse serrée de la pensée chinoise, notamment de celle de Mao Tse-Toung, avec de nombreuses références aux idées de Marx, Hengels, Lénine, Trotsky et Staline. Pour suivre dans leurs détails les développements et le raisonnement de l’auteur, il faut posséder déjà une certaine connaissance de la pensée communiste et des orientations diverses qu’elle a prises, tant dans sa ligne orthodoxe que dans ses déviations.
Il n’en est pas moins nécessaire de suivre le phénomène que représente la pensée révolutionnaire chinoise, en raison de l’importance de la masse de la population de la Chine et de son influence actuelle et plus encore potentielle sur les peuples du Tiers-Monde. Sans doute, le travail de Stuart R. Schram se limite-t-il à la partie spéculative et philosophique de la pensée révolutionnaire de Pékin, et à un seul de ses aspects, sans entrer dans ses implications pratiques. Cependant, cette pensée se veut en prise directe sur le réel, ou plus exactement veut s’imposer au réel, en édictant des règles de vie conformes à un système d’idées, et elle réussit à créer un univers mental, un paysage mental dans lesquels se meuvent finalement et inconsciemment les esprits les plus simples comme les intelligences les plus hautes. Ainsi, la théorie devient-elle application pratique, l’hypothèse se transforme-t-elle en évidence, la suggestion en certitude.
La révolution permanente (ou « ininterrompue ») est la résolution constante des contradictions qui existent en régime socialiste, mais que précisément ce régime estime pouvoir résoudre, alors qu’il prétend que le régime capitaliste est et sera toujours incapable de résoudre les siennes, ce pour quoi il est destiné à périr. La théorie en a fleuri en Chine à partir de 1957, certainement inspirée par Mao Tse-Toung ; puis les dirigeants ont de moins en moins insisté sur elle, sans cependant la renier ni faire disparaître de leurs propos ou de leurs écrits le terme qui la désignait. Ce relatif oubli correspond à la mise en sommeil des théoriciens au profit des « experts » à la suite des mésaventures que l’on sait des expériences chinoises. L’auteur écrit, à propos de la théorie de la révolution permanente : « Cette théorie est, comme nous venons de le dire, le produit d’une époque très particulière de la révolution chinoise, d’une époque où le radicalisme et l’impatience qui caractérisent la pensée des communistes chinois en général et de Mao Zedong (Mao Tse-Toung) en particulier, se donnaient libre cours ». Il en résultait que les dirigeants chinois croyaient à la capacité infinie des hommes organisés en force politique efficace de dominer la réalité objective en lui imposant le subjectif. Les circonstances les ont conduits à mettre une sourdine à leurs ambitions et à calmer leur impatience. Mais, comme l’écrit Stuart R. Schram, « le choix pour les dirigeants chinois n’est pas entre un développement économique et un développement rapide, mais entre un développement rapide et un développement très rapide ». Et il conclut : « Dans la mesure où elle (cette théorie) reflète les besoins et les exigences d’hommes dont le bonheur et même la survie dépendront en grande partie du progrès économique, dans la mesure où les bouleversements incessants qu’elle postule répondent à une tendance inévitable dans l’évolution des pays sous-développés, cette idéologie peut être au contraire appelée à trouver un large écho dans l’ensemble du tiers-monde. »
Il ne semble pas nécessaire de souligner davantage l’intérêt de cet ouvrage qui analyse tout un secteur de la pensée chinoise de ces dernières années. ♦