Maroc 1946. Problèmes d'hier, conditions d'aujourd'hui
Le Maroc français, dont l’acte de naissance est constitué par le traité de protectorat du 30 mars 1912, n’avait donc que vingt-sept ans d’âge lorsque la guerre mondiale a commencé ou plutôt recommencé. Les sept années qui viennent de s’écouler, même en faisant abstraction de la gravité des événements, ne seraient pas négligeables du seul point de vue de la durée relative. C’est pourquoi la restauration de la situation d’avant-guerre, dont les pays d’Europe occidentale rêvent comme d’un retour à l’équilibre et à la santé, ne peut avoir pour le Maroc la même valeur de norme ou d’idéal. La croissance de ce dernier né de la grande famille française a été une crise continue, fièvre personnelle qui fut aggravée par l’incroyable succession des calamités déchaînées sur l’humanité depuis un tiers de siècle.
Les années terribles que le Maroc vient de vivre avec le monde entier n’ont guère favorisé son effort de modernisation. Néanmoins, leur bilan ne consiste pas, comme pour tant d’autres pays, dans un pur passif de ruines à réparer. Certes, le Maroc a payé à la guerre son tribut de misères. Si le bombardement de Casablanca par les avions allemands fit peu de victimes, les journées du 8 au 11 novembre 1942 ont été cruelles, matériellement et plus encore moralement. La mobilisation de septembre 1939 celle de l’hiver 1942-1943 surtout vidèrent le pays de son élite active. Tirailleurs et goumiers ont écrit une magnifique épopée, mais leurs cadres français ont été terriblement éprouvés. Les élèves et anciens élèves du lycée de Rabat, qui n’est ni le seul, ni même le plus important des cours secondaires du Maroc, viennent d’élever dans leur si jeune établissement un monument à la mémoire de leurs camarades morts pour la France : une centaine de noms y sont gravés. Malgré ces pertes douloureuses, il faut reconnaître que le Maroc a bénéficié d’une chance prodigieuse, surtout si l’on considère l’importance stratégique de sa position : c’est le débarquement américain à Casablanca qui fut la première étape de la libération, et la Conférence d’Anfa, date mémorable, a toute la valeur d’un symbole. Mais sur l’évolution interne et spécifique du Maroc français, la guerre, qui a frôlé le pays de ses ailes rouges, a exercé une influence profonde, moins par elle-même que par certaines de ses conséquences.
Le phénomène fondamental et révélateur a été l’isolement. Le Maroc a été surpris au moment où, ayant rompu avec son autarcie séculaire, il ne recevait guère que de l’extérieur les moyens de satisfaire ses besoins nouveaux. Bon gré, mal gré, il a dû vivre de sa substance : il a fait ainsi l’épreuve la plus décisive et de sa vitalité profonde et des puissances neuves qu’il doit à la France. C’est pourquoi en cette année 1946 où reprennent les courants de la circulation mondiale, où la Métropole, d’autre part, reconstruit, selon des plans hardis, la Communauté française, il est particulièrement intéressant de faire le point de l’évolution marocaine : les problèmes d’hier n’ont pas été résolus, mais leur position a été modifiée par les événements. On ne saurait les analyser tous en détail, mais les plus expressifs ou les plus impérieux gravitent autour de trois centres d’intérêt :
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