Poincaré
La collection bien connue des Grandes études historiques éditées par Fayard vient de s’enrichir d’une excellente biographie du président Raymond Poincaré, due à la plume de M. Pierre Miquel, agrégé de l’Université, maître de conférences à l’Institut des Sciences politiques.
Ce n’est pas le moindre mérite de l’auteur que de nous avoir présenté un Poincaré assez différent de l’image d’Épinal sous lequel on le représente d’ordinaire, du souvenir qu’en ont gardé les survivants de ses contemporains, – d’avoir insisté, grâce à une documentation de première main, sur ses années de jeunesse et de formation. Cela permet de mieux comprendre la longue vie publique (1887-1929) de ce timide qui savait être énergique, de cet homme d’État « en qui il y avait du Colbert, mais aussi du Richelieu ». (Sauf qu’on s’imagine assez mal le Grand Cardinal prisonnier de l’Élysée et jouant avec une pareille abnégation le jeu constitutionnel en face d’un Clemenceau.)
« Cet ouvrage n’est qu’un essai », écrit modestement l’auteur à la fin de son introduction. À notre avis, plutôt qu’un essai, une synthèse, qu’il aurait pu intituler, à la manière d’André Maurois ou de Jacques Chastenet, « Poincaré et son temps » ou encore « La France de M. Poincaré ». Abordant en effet son travail en historien, l’auteur se devait de consacrer de longs développements, en quelque sorte, au décor de l’action de son personnage, ce qui nous vaut des pages très fouillées sur la politique intérieure, financière et extérieure de la France, en particulier de 1912 à 1929.
Signalons toutefois quelques petites inadvertances de plume. Il semble prématuré de qualifier d’Alliance (p. 265 et 270) l’Entente cordiale franco-britannique d’avant 1914. L’Hôtel Matignon, ancienne Ambassade d’Autriche-Hongrie, ne deviendra que quelques années plus tard l’Hôtel de la Présidence du Conseil (p. 396). D’ailleurs, l’auteur l’indique autre part, Clemenceau, ministre de la Guerre, s’était installé rue Saint-Dominique. Enfin, (p. 445), faut-il considérer comme un véritable portrait de Poincaré, et, en effet, combien sévère, le Rebendard de Giraudoux dans Bella ? Ce Rebendard-Poincaré, comme le Dubardeau-Berthelot, et comme tant d’autres dans l’œuvre de Giraudoux, ne sont, après tout, que des personnages de roman.
Ces légères critiques n’enlèvent rien à la valeur d’un ouvrage qui vient à son heure, puisqu’il a marqué, à sa manière, le centenaire de la naissance de Poincaré. Étrange destin que celui de ce « notable » meusien, qui aurait tout aussi bien pu faire carrière dans la basoche à Bar-le-Duc, et qui, jeune député, ministre des Finances à 30 ans, devait devenir l’un des tout premiers hommes d’État de son temps, et, au moins à deux reprises (1912 et 1928) être appelé au pouvoir du consentement quasi unanime de la Nation pour faire figure de personnage providentiel. M. Miquel n’a pas cru devoir sortir de son sujet pour tenter, en terminant, certains rapprochements post-poincaréens, – rapprochements dont ne peut se garder le lecteur. ♦