Le Commandant d’Auschwitz parle
Les horreurs des camps de concentration allemands apparaîtront d’une façon plus tragique que jamais dans cette « confession », dans ce « témoignage » ou dans cette « plaidoirie » qu’est le livre de Rudolf Hœss. Avant d’être condamné à mort et d’être pendu, l’auteur, officier SS, qui fut, entre autres fonctions, commandant du camp d’Auschwitz en Pologne, a rédigé un exposé des conditions dans lesquelles il exécuta sa sinistre mission.
Il conteste d’avoir participé, comme l’indique l’acte d’accusation, à l’assassinat de près de trois millions d’hommes, mais reconnaît un chiffre inférieur de moitié. Qu’un seul homme puisse admettre avoir mis ou fait mettre à mort plus d’un million et demi de ses semblables, voilà de quoi stupéfier le plus endurci ou le plus cynique des lecteurs.
Les psychologues se pencheront certainement sur le cas de Rudolf Hœss, comme représentatif de l’état d’esprit des agents subalternes du Reich hitlérien. Ils chercheront dans son journal l’explication véritable des mobiles qui pouvaient le pousser, et des réactions que lui inspiraient les massacres en série. Le lecteur d’aujourd’hui ne sait vraiment que penser, devant ce texte clair, ordonné, précis, où les abominations les plus invraisemblables – et malheureusement les plus certaines – sont décrites sur un ton calme, objectif et, pourrait-on dire, neutre.
L’auteur explique son comportement comme celui de l’obéissance poussée jusqu’en ses plus lointaines conséquences. Il se dit un instrument de la volonté de ses maîtres, Hitler et Himmler, en lesquels il avait une foi aveugle. Il estime qu’il a fait son devoir, refoulant tous les sentiments qui auraient pu l’amener à la révolte ou à la pitié.
C’est certainement la personnalité de l’auteur qui est le sujet le plus frappant de l’ouvrage. Mais le lecteur réfléchira aussi sur la puissance d’un régime si évidemment démoniaque, sur la volonté systématique de destruction de millions et de millions d’êtres humains, pour que triomphe la « civilisation » telle que l’hitlérisme se la représentait.
Dépouillé de tout commentaire, ce livre est accablant. Il faut l’avoir lu. Aucune analyse, aucune critique ne peuvent remplacer la lecture du texte lui-même ; aucune considération ne peut orienter les réflexions qu’il inspire. Car il s’adresse véritablement à la conscience de chacun. ♦