Napoléon et le Pape
Les rapports de Napoléon et de Pie VII composent un extraordinaire roman. Tout y entre en jeu : tantôt c’est le consul qui réclame pour le Souverain Pontife « les égards que l’on devrait à un général possédant deux cent mille hommes », tantôt c’est l’irritation du maître de l’Europe qui veut tenir le Pape pour vassal et se plaint de son intransigeance due, selon lui, à la trop « grande bonté » qu’on lui a manifestée. Négociations et menaces, compliments et libellés, s’échangent des deux côtés des Alpes, ici on tonne contre le successeur de Saint Pierre « qu’il eût fallu inventer s’il n’eût pas existé », là-bas on laisse circuler des chansons et des acrostiches dans lesquels Napoléon est traité en gredin et en bandit.
Mais les mots n’excluent pas les gestes. Là nous entrons dans le plus pur roman d’aventures avec ses péripéties multiples : enlèvement, séquestration et opérations de police. Pendant des années, en effet, Napoléon a mûri un rêve : installer le Pape près des Tuileries, s’assurer la maîtrise du monde religieux comme il s’était assuré la maîtrise du monde politique. Face à cette ambition démesurée, un humble moine devenu le Pape Pie VII, et dont Napoléon affirme qu’il joint à la plus horrible conduite, la plus grande hypocrisie.
N’importe, pendant près de dix ans, le vieillard fragile tient tête à celui qui a courbé l’Europe sous sa loi. Du couronnement à l’exil, tous les aspects de ce drame, ses replis les plus secrets et plus encore son extraordinaire climat de tragi-comédie (comediante tragediante) sont restitués par Bernardine Melchior-Bonnet.
Cette longue querelle avait déjà été étudiée par plusieurs historiens, mais la voici magnifiquement restituée, grâce à l’aide de nombreux documents inédits. Au-dessus des anecdotes, des portraits, des dialogues authentiques, plane l’ombre d’un Napoléon tenace, cynique et dominateur et celle plus discrète, mais inflexible de Pie VII. C’est seulement lorsque Napoléon met le pied sur le Bellorophon, première étape du voyage de Sainte-Hélène, que prend fin l’interminable lutte entre le Sacerdoce et l’Empire. ♦