Léon Tolstoï, mon père
« Léon Tolstoï est de la classe des grands hommes les plus gênants. Trop ancien pour n’être pas étranger à ce que nous nommons « notre vingtième siècle », trop récent pour être une idole, trop homme (et quel diable d’homme !) pour être traité en image d’Épinal, trop important à la fois dans les lettres, dans la pensée et dans l’histoire tout court pour qu’il soit permis d’en parler avec irrévérence ou de congédier d’un haussement d’épaules ses incartades les plus saugrenues. Écrire sa biographie tient de la gageure, du moins si l’on vise à la grande biographie… »
Or, c’est la biographie de Léon Tolstoï qu’écrit ici Alexandra Tolstoï. Elle avait vingt-six ans quand mourut son père. Elle avait été sa secrétaire et sa confidente. Elle a pu profiter des récits des témoins oculaires. Directrice de la publication des œuvres de l’écrivain, après sa mort, elle a eu accès aux sources inédites. La documentation qu’elle a réunie est considérable : la biographie succincte qui suit son ouvrage en langue russe comporte 182 titres.
Malgré les antagonismes familiaux, a-t-elle été partiale ? Elle n’est pas, en toute certitude, indifférente, puisqu’elle avoue « avoir beaucoup compris, appris l’objectivité et l’indulgence, pratiqué la sévérité envers elle-même et connu le repentir ». En outre, elle ne nourrit aucune ambition littéraire. Elle ne cherche pas à briller. Elle se veut simplement biographe. « En face de cet homme instable et déconcertant, qui excelle à passer avec une souveraine désinvolture d’un extrême à l’autre… qui durant sa longue existence n’a cessé de se renier… » elle eût pu être tentée de faire un choix. Historienne elle a pensé que tout était à prendre ou à laisser, et elle a décidé qu’il lui serait impossible de rejeter si peu que ce fut. Mais, constatation essentielle et qui marque toute son œuvre, le point de départ est resté dans son cœur.
Ainsi est née, a été élaborée, puis écrite, cette biographie de Tolstoï. ♦