L’expansion économique allemande
La lecture de cet ouvrage, écrit en partie par le ministre allemand de l’Économie nationale, ne peut manquer de plonger le lecteur français dans la plus grande inquiétude. Il s’agit, en principe, d’expliquer comment l’Allemagne a pu connaître la prospérité en adoptant systématiquement la doctrine libérale, et de faire, en quelque sorte, campagne pour que les autres pays d’Europe – et avant tout la France – se convertissent aux mêmes idées.
Mais tout cela, au fond, n’est que prétexte. Le but véritable est d’exposer – quasi officiellement – comment la pauvre Allemagne innocente a été pressurée par les méchants Alliés, quels moyens ceux-ci ont employés pour la maintenir ruinée, et comment l’intelligence et le courage des dirigeants de Bonn ont permis de déjouer ces calculs. Sur ce thème, on imagine quelle peut être la verve du Dr Erhard et de ses collaborateurs, qui ne manquent pas une occasion de mettre en relief, entre autres perles, le pillage de leur zone par les Français, les exigences insupportables des Alliés en ce qui concerne les dettes extérieures et les réparations, la saisie des marques de fabrique, etc.
Pas un mot, évidemment, de tout ce que l’Allemagne a prélevé sur l’Europe pendant qu’elle l’occupait, entre 1940 et 1944. Sait-on que ces prélèvements ont atteint 50 milliards de dollars 1938, soit plus de 100 Md$ valeur actuelle ? Nos bons apôtres, sans doute, le savent, mais ils tiennent tant à ce que l’Allemagne fasse figure de victime qu’ils se convainquent aisément de la nécessité de cette légère omission.
Quant à la doctrine libérale du Dr Erhard, qu’on nous laisse sourire… L’Allemagne de Bonn est libérale parce que tel est son intérêt du moment ; ce qu’on nous présente comme une doctrine n’est qu’une manifestation de l’opportunisme le plus caractérisé, avec tout ce que cela implique de légèreté dans les convictions. C’est si rentable, sur le plan diplomatique, de flatter les convictions libérales des Américains…
Concluons : Un grand livre ? Peut-être pour ces fanatiques d’outre-Rhin dont la multiplication nous inquiète chaque jour davantage. Pour les Français, un monument de cynisme, qui doit sérieusement donner à réfléchir au seuil de la réconciliation franco-allemande. ♦