Marine en Indochine
Cette histoire du rôle de la Marine en Indochine, depuis 1939 jusqu’en 1953, est remarquablement complète et poussée dans ses détails jusqu’à l’anecdote. Comme dans ses autres livres, M. Jacques Mordal est intéressant, agréable à lire ; regrettons seulement qu’ayant fourni un travail considérable pour reconstituer les actes de la Marine, il ne nous ait pas renseignés sur les parties plus arides de l’organisation et de l’exercice du Commandement, de sa liaison avec les forces terrestres et aériennes, qu’en un mot il soit resté un peu trop sur le plan « livre d’or » plutôt qu’histoire.
En tout cas ce n’est que par son livre que les Français peuvent connaître l’audacieuse attaque de l’amiral Béranger sur la flotte siamoise à Koh Chang, le 17 janvier 1941 en représailles de l’action du Siam – agissant dans le sillage du Japon – sur notre frontière cambodgienne. Cinq jours après notre victoire, le Japon imposait son arbitrage.
Ce n’est que par lui également que la France peut être informée des efforts de la Marine pour maintenir pendant la guerre notre liaison avec l’Indochine se débattant sous la botte japonaise, liaison indispensable pour maintenir notre souveraineté et que nos alliés ont trop souvent rompue avec une vue aussi étroite que courte.
Mais le gros de l’ouvrage se rapporte à la « Guerre du Viet-Minh » et d’abord à la « remise en place » de la France en Cochinchine puis au Tonkin, à laquelle la Marine a apporté une contribution décisive en assurant, sous le feu des Chinois, la remontée à Haïphong des troupes du général Leclerc. Et ensuite à cette guerre de fleuves, de canaux, de littoral telle que l’impose la géographie militaire de l’Indochine et de ses deux deltas et qui fera que la Marine sera présente partout.
Comme du temps de Francis Garnier ce sont les marins qui arrivent les premiers à Nam-Dinh, aussi bien qu’à Mytho quelque temps auparavant. Jusque dans la bataille essentiellement terrestre de Dong Trien, la Marine jouera un rôle important. Partout les « Divisions navales d’assaut », les « Dinassau », agissent côte à côte avec les troupes de terre. Et en fait c’est bien un « livre d’or » que le récit de ces multiples actions, dures, ingrates, meurtrières où les marins restent toujours égaux à eux-mêmes par leur sang-froid dans l’action, leur modestie dans le succès.
Enfin le livre relate la participation des porte-avions de la Marine et de l’Aviation embarquée dans la guerre aérienne, participation qui ne s’arrête pas aux deltas mais qui va jusqu’en pays Thaï aux frontières du Laos, avec trop souvent des appareils de rebut dus à la charité américaine.
Et Jacques Mordal termine en faisant judicieusement remarquer que la charge que la guerre d’Indochine fait peser sur la Marine est relativement plus lourde que celle imposée à l’Armée, car si cette dernière est dans son élément, si elle y acquiert une incomparable expérience, la Marine consacre ses deniers, use son personnel à des besognes qui ne doivent pas être normalement les siennes dans le conflit que les puissances occidentales jugent nécessaire de préparer et c’est là pour elle un handicap tout particulier. ♦