« Au Maroc avant et avec Lyautey » extrait de Confessions d’un vieux diplomate
Cet ouvrage spécialement consacré au Maroc est un extrait des mémoires de M. de Saint-Aulaire publiés sous le titre de Confessions d’un vieux Diplomate.
Il débute en 1902 par la nomination de l’auteur au poste de secrétaire d’ambassade de la Légation de France à Tanger, capitale diplomatique du Maroc. Le Chef de la légation était Saint-René Taillandier. Saint-Aulaire reste près de huit années consécutives à Tanger (1902-1909) avant d’être nommé premier secrétaire à l’ambassade de France à Vienne. Il devait demeurer trois ans dans ce poste avant de retourner au Maroc en 1912 comme second de Lyautey.
Peu de choses jusqu’en 1905. La France suit de très près les affaires marocaines. Nous avons une frontière commune et bien souvent mouvante. Le Maroc est d’autre part un pays où les rivalités internationales sont des plus ardentes. Mais la France manœuvre très habilement : nous laissons toute liberté d’action à l’Italie, en Tripolitaine et à l’Angleterre en Égypte – en échange de notre liberté d’action au Maroc. Ces deux points de friction réglés, Delcassé qui dirige les Affaires étrangères, vise à établir une entente solide entre la France, l’Angleterre et la Russie – pour isoler l’Allemagne. Mais l’accord franco-anglais de 1904 qui reconnaissait la situation privilégiée de la France au Maroc avait éveillé la susceptibilité de l’Allemagne, qui prétendait – elle aussi – avoir un droit de regard sur les affaires marocaines.
En mars 1905, Guillaume II débarque d’une façon ostentatoire à Tanger. Il affiche brutalement les prétentions allemandes et se pose en champion de l’Indépendance marocaine.
La situation se tend, Delcassé se voit contraint de démissionner. Une conférence se réunit à Algésiras pour régler les affaires marocaines. C’est un échec pour l’Allemagne qui en sort isolée pendant que la France a resserré son amitié avec l’Angleterre.
En 1905 éclate l’affaire de Casablanca où des Marocains révoltés massacrent 9 Européens dont 4 Français. La France bombarde Casablanca en représailles et fait débarquer un détachement de marins à terre. Puis le général Drude débarque avec des renforts et étend la zone d’occupation en Chaouia. Désavoué par Paris, le général d’Amade le remplace – et suit la même politique. Moulay-Hafld, frère du sultan régnant Abd-el-Aziz, se révolte. Ce dernier, abandonné par les siens, doit abdiquer. Moulay-Hafid lui succède. C’est un homme sur lequel la France peut compter – dans une certaine mesure.
En 1909, l’affaire des déserteurs de Casablanca provoquée par l’Allemagne éclate ; après beaucoup de bruit, l’Allemagne doit battre en retraite. Et, une fois de plus, sa politique de provocation au Maroc avait fait faillite.
C’est à ce moment que l’auteur est nommé conseiller à l’Ambassade de Vienne. Il va y passer trois années, sans cesser de suivre de près les événements du Maroc, et notamment l’affaire d’Agadir, car l’Allemagne ne renonçait pas à la guerre froide. Cette campagne d’excitation et d’intrigues dirigée contre la France provoquait la révolte de Fez le 17 avril 1912. Trois mille Marocains révoltés massacraient leurs instructeurs français.
Quelques jours plus tard, Lyautey était nommé Haut-Commissaire au Maroc avec Saint-Aulaire comme second. Du séjour de Saint-Aulaire à Vienne longuement détaillé dans l’ouvrage, nous ne retiendrons que la phrase d’adieu que le vieil empereur lui adressait dans son audience de congé : « Vous venez de rétablir le service de trois ans. Comme vous avez bien fait ! Avec ces Prussiens, on ne sait jamais ce qui peut arriver. » Et maintenant, Saint-Aulaire aborde dans son ouvrage le proconsulat de Lyautey au Maroc, sans oublier d’ailleurs de se raconter lui-même.
Saint-Aulaire, qui professait une très grande admiration pour Lyautey, fut pour son patron un collaborateur dont la fidélité ne se démentit jamais.
Il avait été envoyé au Maroc un peu pour tenir Lyautey en laisse, où il resta pour lui un très dévoué collaborateur.
On ne trouvera pas dans l’ouvrage de Saint-Aulaire un exposé consacré à l’action de Lyautey au Maroc ni aux résultats en ce qui concerne les différents domaines de l’Économie. Rien non plus en ce qui concerne les opérations. Saint-Aulaire ignore les généraux comme les ingénieurs. Il reste avant tout un diplomate – et seules les affaires du Maroc vues sous l’angle des réactions au point de vue international présentent de l’intérêt pour lui. Lyautey poursuivait sa tâche de pacificateur et de bâtisseur avec un nouveau Sultan Moulay Youssef, qui avait remplacé son frère Moulay Hafid, heureux d’accepter la retraite dorée que la France lui offrait.
Certes les difficultés ne firent pas défaut à Lyautey. Elles venaient de Paris comme du Maroc lui-même. On lira avec beaucoup d’intérêt les pages de Saint-Aulaire dans ce domaine. Elles sont bourrées de faits. En août 1914, c’est la guerre. Loin de se replier sur les ports en abandonnant l’intérieur, Lyautey envoie à la bataille de France plus d’hommes qu’on ne lui en demandait – et garde le Maroc. Après un court passage au ministère de la Guerre (décembre 1916-mars 1917), Lyautey est obligé de démissionner. Évidemment, son tempérament de lutteur ne pouvait s’accorder avec les mœurs parlementaires. En 1917, il revient au Maroc et reprend sa tâche. À ce moment, Saint-Aulaire l’a quitté pour aller représenter la France en Roumanie. Mais l’auteur continue à suivre de très près les affaires marocaines et s’étend longuement dans son livre sur l’action de Lyautey jusqu’en 1925.
En 1925, l’heure de l’épreuve avait sonné pour le maréchal Lyautey. Le Maroc avait failli être submergé par une avalanche de tribus fanatisées par Abd-el-Krim. Et c’est au maréchal Pétain que le Gouvernement confia la tâche de rétablir la situation.
Lyautey n’accepta pas cette déchéance. Quelques semaines plus tard, il rentrait définitivement en France. Et celui qui si souvent avait – comme les consuls victorieux de Rome – connu les honneurs du triomphe débarquait à Marseille, seul. Toutes les jouissances que la vie peut donner à l’homme, Lyautey les a connues. Il en a profité avec passion. Mais il les ennoblissait parce qu’elles n’étaient pour lui qu’un moyen. Il voulait les asservir pour faire éclater sa Gloire. Cela seul était son but.
Il s’apparente à ce point de vue à deux maréchaux qui furent comme lui de grands seigneurs : Saint-Arnaud et de Lattre qui, à un moment donné de leur vie, ont émergé très haut au-dessus de la foule et l’ont domptée.
Comme à eux, il fallait à Lyautey une situation exceptionnelle pour donner sa mesure et savoir – quand c’était nécessaire – sortir de la règle. ♦