La prospective n’est en aucune façon un travail de divination. Le monde de l'an 2000 sera ce que nous l'aurons fait au cours des vingt années à venir. Mais d'ores et déjà il est évident qu'il forme un système clos admettant une structure qui s'articule autour de trois grands pôles et des axes qui les relient, l'Ouest, l'Est et le Sud. Réfléchir aux scénarios que nous pouvons envisager pour l'an 2000 revient donc à rechercher les limites extrêmes entre lesquelles sont susceptibles d'évoluer les trois principaux groupes de relations mondiales : les rapports Est-Ouest, Nord-Sud, et les interactions Est-Ouest-Sud. La mise en évidence de cette structure et de ces limites permet défaire ressortir les chances qui s'offrent au jeu de l'Occident et le rôle que peut y jouer notre pays en faisant prévaloir dans les rapports internationaux une vision conforme aux valeurs historiques qu'il a reçues en héritage. Ce texte est le fruit d'un travail mené dans le cadre d'un comité de la XXXIe session de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) que suit actuellement l'auteur.
La société internationale à l'horizon 2000
L’Occident, et la France en son sein, ne sont pas nécessairement sur la défensive dans leurs rapports avec l’Est et avec le Sud ; leur situation n’est pas nécessairement celle d’une « citadelle assiégée » du conservatisme et des privilèges : ils pourraient reprendre l’initiative, face au Sud en récupérant les thèmes libérateurs qu’ils diffusèrent naguère et qui sont aujourd’hui retournés contre eux, face à l’Est en acceptant le défi d’une confrontation « transnationale », au niveau des sociétés, à rencontre des pratiques de la diplomatie traditionnelle.
Au-delà de ces considérations d’ordre tactique, notre choix normatif essentiel est fondé sur la conviction qu’il n’est pas possible, en ce dernier quart du XXe siècle, de ramener les rapports internationaux à une sorte de physique politique, chaque État, voire chaque coalition d’États, poursuivant puissance, gloire, prestige par la négociation ou par les armes. Il importe désormais, pour les principaux acteurs internationaux, d’appréhender le monde en tant que système, de saisir dans le foisonnement de « l’état de nature » l’émergence d’un véritable contrat social international. Parce qu’ils ne sont pas prisonniers d’une doctrine du déterminisme historique comme leurs partenaires de l’Est, ou d’une expérience historique contraignante comme ceux du Sud, les États de l’Ouest nous semblent les mieux à même de prendre conscience – et de faire prendre conscience – des problèmes qui se posent aujourd’hui à l’ensemble de l’humanité. L’Occident devrait donc, selon nous, dans ses rapports avec l’Est et le Sud, s’assigner pour objectifs ceux des scénarios pour les prochaines décennies que nous décrivons comme les plus « mondialistes »… même s’il est évident que la réalisation d’un simple ordre international minimum serait considérée, à moyen terme, comme très satisfaisante.
Dans l’élaboration de nos scénarios, des problèmes différents se posaient selon qu’il s’agissait des perspectives Est-Ouest ou Nord-Sud. Les rapports Est-Ouest ont déjà une longue histoire – qui commence au lendemain du second conflit mondial, voire en 1917 : l’analyse des comportements respectifs de l’Est et de l’Ouest dans les décennies passées sous-tend donc les hypothèses avancées ; l’approche empirique domine, même si la description des régimes est-européens comme idéocraties et l’accent mis – à la suite d’Alain Besançon et d’Annie Kriegel – sur la « fixité » des politiques étrangères de ces régimes peuvent donner au lecteur l’impression contraire. En fait, l’observation empirique doit prendre en compte non seulement l’environnement « objectif » mais aussi sa perception « subjective » par les acteurs internationaux, non seulement la « réalité », mais aussi la sélection de la réalité, son éclairage par les responsables. Entre les choix possibles et la décision diplomatique, s’interpose « l’image du monde » propre au gouvernant, qui est faite d’abord des valeurs qu’il a intériorisées au fil des années : cela est vrai pour tous les régimes, mais particulièrement pour les États socialistes, où les faits internationaux parviennent « réfractés » à travers le prisme de l’idéologie.
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