S'il est vrai que les deux Grands redoutent la guerre nucléaire totale et négocient depuis dix ans dans le but de prévenir son déchaînement, il semble cependant que la guerre nucléaire limitée soit envisagée. C'est du moins ce qui ressort de la « doctrine Schlesinger », que l'actuelle administration américaine n'a pas récusée et qui vise à donner aux États-Unis la capacité de riposter par des « frappes sélectives » contre des objectifs militaires et économiques en réduisant sensiblement les « dommages collatéraux ». Du côté soviétique, si la doctrine est moins affirmée, si elle est fluctuante selon les auteurs et les époques, il n'en reste pas moins que Moscou se dote de vecteurs de portée intermédiaire (missile SS.20 mobile et avion Backfire) susceptibles de s'en prendre en première frappe aux forces alliées stationnant à l'Ouest de l'Elbe. D'où l'inquiétude des Européens devant ce qui leur apparaît d'un côté comme un affaiblissement de la riposte américaine au profit du vieux continent, et de l'autre comme une volonté d'affirmer une capacité de coercition sur l'Europe sans menacer le « sanctuaire » de l'autre Grand.
Tel était le sujet d'une réunion-débat que l'association éditant notre revue – le Comité d"Etudes de Défense Nationale – avait organisée le 15 mars dernier. Nous reviendrons dans un prochain numéro sur les exposés et les interventions auxquels elle a donné lieu. Mais en attendant cette publication, nous proposons à nos lecteurs, dans l'article ci-dessous, une réflexion sur un thème très voisin de celui-là. L'auteur tente de répondre à cette question-clé : « La guerre nucléaire est-elle possible ? Est-elle possible entre les deux Grands ou seulement en Europe ? ». Fondée sur un travail important de dépouillement d'une documentation particulièrement abondante (du côté américain surtout), cette étude répond au fond à l'interrogation que posait déjà il y a six ans Fred Iklé dans un article célèbre du Foreign Affairs (janvier 1973) : « La dissuasion durera-f-elle jusqu'à la fin du siècle ? »