Du débarquement africain au meurtre de Darlan
L’ancien ambassadeur, historien et archéologue de valeur, s’est voué, depuis la Libération, à l’étude d’un passé tout proche : nous lui devons deux livres : La vérité sur l’Armistice, La tragédie de Mers-El-Kébir, déjà épuisés. Il s’est, cette fois, consacré à l’histoire des semaines décisives pour la victoire alliée, qui précédèrent immédiatement le meurtre de Darlan à Alger. C’est une œuvre véritablement colossale qui est ainsi sortie de cette vaste et minutieuse enquête humaine, poursuivie pendant trois années.
L’auteur ne s’est pas contenté de dépouiller toute la littérature imprimée, fort abondante, provoquée par les événements. Il s’est livré à une véritable chasse de toutes les pièces officielles ou privées plus ou moins secrètes – plus de 700 – ; pour la seule journée du 8 novembre, il en a exploité 120. Il a, ensuite, pratiqué une méthode délicate, mais utile : pendant qu’il en était encore temps et que la plupart des acteurs de ce drame sont encore vivants, il les a « interviewés », comme eût fait un reporter de profession : aucune des personnalités importantes ne s’étant récusée, il a accumulé ainsi 3 000 pages de notes. L’auteur a également analysé les procédures devant la Haute Cour de Justice concernant 42 généraux, 29 amiraux ou assimilés, 14 anciens ministres, 6 ambassadeurs, sans oublier leurs collaborateurs, jusqu’à leurs pilotes et leurs chauffeurs. Les séries de télégrammes ont été collectionnées, les sources recoupées, les témoignages contradictoires confrontés, contrôlés, avec une véritable patience de bénédictin, et, il faut bien le dire, avec infiniment plus de sérénité que dans une œuvre comme la Vérité sur l’Armistice.
Cette « vérité » apparaît ici plus nuancée ; les jugements, sobres d’ailleurs, sont motivés et marqués au coin d’une indulgence humaine. De ce récit sans le moindre effet littéraire, se dégagent par l’accumulation chronologique de détails, des portraits nombreux, où les personnalités les plus contestées, les plus condamnables – par exemple, celles de Laval et de Darlan – se détachent en pleine lumière. L’étude d’un pareil livre devrait entraîner la révision de certains jugements manifestement hâtifs et injustes. Il éclaire aussi l’importance incommensurable de l’opération d’Afrique du Nord dans la contre-offensive alliée contre la forteresse Europe ; il montre avec quel secret, mais, aussi, avec quelle timidité opérèrent les états-majors et chefs américains – et aussi quels services inappréciables leur furent rendus par les forces françaises et par ceux de leurs chefs que n’obnubilèrent pas l’exagération du sentiment d’obéissance au maréchal et la fidélité au serment poussé jusqu’à l’erreur.