Leclerc
Dans l’avant-propos du livre qu’il vient de publier sur Leclerc, notre rédacteur en chef, Edmond Delage, souligne combien il est, dès aujourd’hui, difficile d’écrire l’histoire complète de la carrière du général, étant donné que les sources originales où l’on pourrait puiser – archives familiales ou archives d’État-Major – ne sont pas encore classées et accessibles.
Il a cependant paru opportun à l’auteur de tenter une esquisse de cette vie admirable, vouée tout entière au service de la Patrie, et qui se confond avec l’épopée de la lutte pour la libération de l’Afrique et de l’Europe.
Ce qui frappe, en effet, dans cet ouvrage, c’est que, pour la première fois, à notre connaissance, l’auteur a tenté – et croyons-nous a réussi – de situer le général dans les différents milieux où son étonnante carrière l’a appelé à agir.
Edmond Delage nous donne, à la fin de son livre, une bibliographie qui paraît aussi complète que possible de tous les ouvrages auxquels il s’est référé. Grâce à eux, il a très habilement tiré parti des études déjà fort nombreuses ou des impressions très vivantes dont il disposait pour son œuvre. Le chapitre des origines de son héros nous le montre issu de son terroir picard, puis brillant officier de l’escadron de Saint-Cyr, enfin, instructeur né, conducteur d’hommes, avant d’être prestigieux combattant. Le chapitre relatif à l’action de Leclerc en Afrique est extrêmement important et légitime la parution du livre dans une collection consacrée aux grands coloniaux. Ce fut, en effet, un des plus grands de notre histoire que ce jeune chef envoyé d’Angleterre, débarquant au Cameroun, placé au Tchad au centre même de la lutte africaine, organisant, avec l’audace d’un grand cavalier et la science minutieuse d’un capitaine moderne, les raids fameux sur Gatroun, Mourzouk, Koufra.
La description de la campagne du Fezzan est, selon moi, parfaite de clarté, de précision et de vie. Rien n’y manque, ni le paysage, ni l’action des héroïques collaborateurs du général, ni l’évocation de son rôle personnel, à chaque instant décisif. La même impression de vie se dégage des lignes consacrées à la Tripolitaine et à la Tunisie. En passant du raid à la bataille, Leclerc s’affirme aussi redoutable pour l’Allemand qu’il l’avait été pour l’Italien.
La seconde partie de la guerre menée par Leclerc est consacrée à sa lutte à la tête de la 2e DB. Edmond Delage montre avec quelle persévérance, quel souci de la perfection technique le jeune général créa cet instrument de guerre réellement formidable ; il devait faire merveille dès son débarquement en Normandie et, dès le moment où Leclerc fut pour un chef intrépide, de l’envergure de Patton, un incomparable collaborateur. Les pages consacrées à la libération de Paris sont parmi les plus émouvantes. L’auteur a su admirablement évoquer l’atmosphère héroïque dans laquelle Leclerc et ses hommes se sont mus et il a parfaitement mis en valeur l’intelligence et l’habileté consommées avec lesquelles le jeune chef a su sauver la capitale, tout en la préservant de la destruction. La délivrance de Strasbourg a mis en valeur ses dons exceptionnels de stratège, son intuition véritablement géniale et son audace sans égale dans l’exécution miraculeusement rapide.
Un chapitre, jusqu’ici peu connu de la vie de Leclerc, a été son action au service de l’Union française en Indochine ; c’est une lacune qu’Edmond Delage a heureusement comblée. Nous y voyons un Leclerc toujours aussi ardent à l’action que prudent et habile dans la négociation. On peut même, à ce propos, regretter qu’il n’ait pas été plus longtemps maintenu à la tête de l’une et de l’autre ; la question d’Indochine eût peut-être, grâce à lui, reçu une solution plus rapide.
Enfin, on ne saurait lire sans émotion les très belles pages dans lesquelles sont narrées la catastrophe et l’apothéose de ce chef parvenu, en six ans à peine, au sommet de la hiérarchie militaire.
Edmond Delage ne dissimule pas, à la fin de son ouvrage, tout ce qu’il doit à ses devanciers et notamment aux officiers de l’État-major du général qui lui ont, avec un parfait désintéressement, communiqué les bonnes feuilles d’un ouvrage de dimensions plus importantes qu’ils élèvent à sa gloire. Mais l’originalité de son livre reste grande et méritoire. Il a su admirablement grouper tous les éléments psychologiques, historiques, géographiques et. politiques qui ont fait, de son héros, un type admirable et, peut-être, à certains égards. unique, de culture militaire, d’officier d’état-major profondément cultivé et, en même temps, d’exécutant d’une audace et d’une bravoure légendaires qui l’apparentent à un Bavard ou à un Marceau. L’œuvre de Leclerc ne peut certes pas se dissocier de l’action de ses compagnons. Le grand mérite de ce livre est de les avoir, en un style dépouillé, mais d’une rare et vigoureuse sobriété, évoqué, en même temps que le cadre général de la guerre et l’atmosphère de ces glorieux combats, la figure déjà légendaire d’un chef dont la perte fut pour l’armée et la France véritablement irréparable.