Histoire d’Espagne
Albert Mousset, spécialiste réputé des questions de politique étrangère, auteur d’une Histoire de Russie dont nous avons rendu compte ici même, cette fois, consacré de vastes recherches et un travail énorme à l’Histoire d’Espagne. Ce livre de plus de 600 pages est le résultat d’un séjour de six années passées dans la péninsule. L’auteur a eu l’occasion de se familiariser avec les archives les plus importantes et de faire des investigations du plus rare intérêt, dans certains fonds, tels que ceux du ministère d’État ou d’autres collections officielles. Sans négliger la partie anecdotique et pittoresque (le livre est joliment illustré), l’auteur s’est surtout attaché à donner de chaque période sa caractéristique essentielle, et sa tournure d’esprit philosophique lui a permis de dégager les lois d’une histoire qui sont restées, pour la plupart, une énigme.
L’Histoire d’Espagne, comme celle de la Russie – c’est peut-être ce qui a donné à M. Mousset l’idée de la traiter – se déroule sur un rythme différent de celui des autres peuples occidentaux. Elle n’en est pas pour cela aussi incohérente qu’on se l’imagine. Tout ne s’explique pas par l’excentricité géographique de la péninsule ; en réalité, l’Espagne a été écartelée pendant des siècles, par des influences contraires dont aucune ne l’a emporté d’une manière durable. On ne devrait pas non plus exagérer l’unité religieuse d’un pays dans lequel a toujours circulé un puissant courant de révolte religieuse. L’Histoire d’Espagne pourrait être comparée à une ligne brisée, oscillante entre l’Afrique et le Nouveau monde, entre l’Europe centrale et l’Occident, entre une politique nationale et une politique d’équilibre continental. Elle comporte une brève période de grandeur, suivie d’un long déclin. La décadence de ce pays, qui s’étale sur quatre siècles, semble résulter de l’incapacité du peuple à se maintenir dans le cadre que lui avaient assigné des événements extérieurs à sa volonté. Malgré les vertus de sa race, l’Espagne a ployé sous l’effort démesuré que réclamait une position mondiale qu’elle tenait de la Providence.
On peut concevoir aujourd’hui, qu’un régime plus juste s’instaure par-delà les Pyrénées, qu’il mette fin à de tragiques inégalités, à d’intolérables misères physiques. On imagine plus difficilement la révolution qui ferait sortir l’Espagne de sa position de grande puissance en retraite, réaliserait une paix durable des esprits, un remembrement de la conscience nationale, une tension des volontés qui aille au-delà des horizons de classe ou des particularismes régionaux. Cette trop rapide condensation des idées directrices de l’auteur montre quelle est la valoir d’une pareille étude et son intérêt pour un peuple voisin comme le français, rattaché à la péninsule par tant de liens culturels et économiques.