PC du général : journal du chef de l’état-major particulier du général Guisan, 1940-1945
C’est un livre séduisant, mais, aussi, important, que celui qu’a consacré M. Bernard Barbey, – le distingué conseiller et attaché de presse à la Légation de Suisse à Paris, pendant la guerre, lieutenant-colonel et collaborateur direct du généralissime Guisan – au rôle de l’armée suisse pendant, la guerre. Ce journal, écrit, d’une plume brillante, parfois même poétique, révèle une intelligence lucide, un vif esprit d’observation, un sens politique et stratégique, des dons réels d’évocation. Nous y vivons, heure par heure, pour ainsi dire, l’existence d’un état-major sur lequel pesaient de si lourdes responsabilités. Et, tout d’abord, celle de son chef.
Magnifique personnalité que celle de ce citoyen-soldat, le général Guisan. Il n’était pas militaire de carrière. C’est pourtant à une énorme majorité qu’il fut élu – pareille méthode eût été difficilement concevable en un autre pays – par le Conseil fédéral, à la tête d’une armée de citoyens, mobilisée pour faire respecter la liberté et la neutralité de la nation. La figure du général Guisan apparaît ici en pleine lumière : ce propriétaire campagnard, si résistant, malgré les soixante et onze années qu’il avait atteintes quand il quitta le service, si parfaitement équilibré, est aussi à l’aise au milieu des montagnards des hautes vallées, dont il parle tous les dialectes, qu’au cours des réceptions les plus délicates, en face d’attachés militaires de l’Axe, ou les plus émouvantes, en présence de nos généraux de Lattre de Tassigny, Daille, etc. C’est un chef, dans la pleine acception du terme, un animateur, un esprit vigoureux, souple et moderne. Sous les notations très simples, volontairement, nécessairement discrètes, nous nous rendons compte des difficultés et des angoisses qu’eut souvent à surmonter, sans en rien révéler, le haut commandement helvétique, lorsque la tempête venait déferler jusqu’à ses frontières et menaçait de les submerger : par exemple, au cours de la crise de 1943, quand le Führer avait détaché l’énergique Dietl à Munich pour y élaborer un plan d’invasion de la Suisse.
L’idée centrale qui se dégage de ces impressions quotidiennes, c’est l’énergie et la persévérance avec lesquelles Guisan et ses collaborateurs perfectionnèrent l’instrument, au début insuffisant, qu’ils auraient eu à manier, en cas d’agression. Ils n’épargnèrent aucun effort pour faire de cette armée de 150 000 réservistes, une force si redoutable qu’elle fit hésiter, puis renoncer l’Allemand : perfectionnement de la tactique d’infanterie, manœuvres et exercices à double action, techniques de DCA et des antichars : tout fut étudié et, en grande partie, réalisé dans le minimum de temps. En présence d’une menace terrible sur tous les fronts, qui aurait coûté à la Suisse sa plaine, ses villes, ses industries, ses richesses, le général Cuisan conçoit, dès le début, l’idée d’un réduit inexpugnable. Il le renforce constamment, par le béton, par des communications souterraines ; il y accumule des approvisionnements. Il impose à tous de durs sacrifices : pas un civil, sauf l’autochtone, n’y pénètre. Il rend, en 1943, les passages alpestres, proprement infranchissables. C’est de cet effort magnifique, inconnu jusqu’ici, que le journal de B. Barbey rend compte : nous lui devons donc une contribution précieuse à l’histoire de la guerre. ♦