Vingt-cinq années d’aviation militaire (1920-1945). T.I : La Genèse du drame aérien de 1940
Le général de brigade aérienne Hébrard expose en un livre précis et passionnant la « Genèse du drame aérien de 1940 ». Il nous donne la réponse à cette question que tant de Français se sont posée depuis cette funeste époque où tant d’illusions s’écroulèrent : comment la France, qui était en 1919 la première puissance aérienne du monde, a-t-elle pu se laisser presque complètement surclasser dans le ciel en 1940 ? Ce n’est pourtant ni l’argent qui a manqué pour construire une flotte aérienne, ni l’héroïsme qui a fait défaut à nos équipages. Le mal vint de l’anarchie qui régna dans les idées et les méthodes au moment où, notre supériorité ancienne ayant été détruite par l’évolution rapide de la technique, il eût fallu reconstruire, et reconstruire vite, sur des bases à la fois larges et solides. Ce sont ces bases que nous ne parvînmes pas à créer.
Le général Hébrard montre comment l’Allemagne, débarrassée en quelque sorte de toute entrave initiale par sa défaite même, s’attacha farouchement, dès le lendemain du désastre, à préparer les renouveaux futurs. Elle se créa d’abord des bases solides en serrant au plus près les progrès de la technique, en développant au maximum ses moyens de recherche et d’étude, en mettant au point des prototypes dans les filiales étrangères de ses maisons de construction. Puis, l’établissement au pouvoir du national-socialisme lui permit d’étendre puissamment ces bases et de passer aux réalisations devant une Europe incapable de réagir. Ayant choisi délibérément d’être l’agresseur, elle put fixer son heure et y arriver avec un matériel parfaitement adapté à une doctrine savamment mûrie, et qui représentait le dernier cri de la technique. Pour utiliser ce matériel, elle sut créer dans sa jeunesse, un enthousiasme pour l’aviation dont les résultats se manifestèrent d’une manière significative lors des concours internationaux, notamment de vol à voile. Bref, persévérance dans l’effort, sûreté dans la doctrine, savante préparation du matériel, tels furent les facteurs de l’écrasante supériorité aérienne de l’Allemagne hitlérienne en 1940.
Chez nous, au contraire, l’évolution fut bien différente. Il faut lire les pages où le général Hébrard rappelle comment la doctrine du général italien Douhet vint passionner les esprits, faisant naître des discussions ardentes, et aboutissant à la création d’une flotte basée sur l’idée erronée de l’avion « bon à tout faire », sacrifiant la vitesse à l’armement. Cette lutte d’idées, loin d’être féconde, créa des divergences profondes dans les doctrines et nous donna un retard initial.
Mais même si la confusion n’eût régné dans les idées, nos possibilités techniques n’eussent pas été à la hauteur des exigences de l’heure. Une politique industrielle anarchique et gaspilleuse, une production insuffisante et mal organisée, tout entière dominée par la satisfaction des intérêts particuliers, une mobilisation industrielle mal conçue et désorganisée par des mesures mal étudiées, tels furent les éléments qui aboutirent à faire entrer en guerre nos magnifiques équipages avec un matériel complètement périmé, incapable de s’adapter, même au prix des plus grands sacrifices, aux lourdes nécessités de la guerre moderne.
Des tableaux, des graphiques, des croquis d’avions complètent une argumentation solide, bourrée de faits et de documents. Le lumineux exposé du général Hébrard, précédé d’une préface d’inspiration élevée d’Henri Bouché, inspire le désir très vif de lire au plus vite son deuxième volume qui exposera les événements de la guerre aérienne de 1939 à 1940.