Une remise à plat de notre défense s’impose pour permettre à la France de rompre avec le déclin inexorable de ses armées, malgré la qualité de ses engagements. De nouveaux efforts sont désormais nécessaires pour répondre aux menaces. La souveraineté du pays est en jeu et son indépendance doit être préservée.
La défense de la France : une priorité de l’État
Defense of France: a priority of the state
A call for our defense is imperative to allow France to break with the inexorable decline of its armies, despite the high quality of its commitments. New efforts are therefore necessary in order to respond to threats. Sovereignty of a country is at risk and its independence should be preserved.
Après la chute du Rideau de fer et la réunification de l’Europe, nous pensions pouvoir vivre enfin dans un monde de paix et nous avons négligé la restructuration de nos armées. De même, aucune leçon n’a été tirée de la guerre des Balkans et de notre incapacité à protéger l’espace européen.
Depuis, le contexte sécuritaire dans le monde a continué à se dégrader, en particulier en 2015. La multiplication des foyers djihadistes est une menace pour toutes les démocraties notamment celles de l’Europe. Les attentats récents de Paris, Nice, Bruxelles, Magnanville et Saint-Étienne-du-Rouvray en sont la terrifiante manifestation.
Le risque terroriste n’est malheureusement pas la seule menace qui se profile actuellement. Plusieurs grandes puissances augmentent, de manière très significative, leurs dépenses en matière de défense et font des démonstrations de force qui doivent nous alerter.
Des exemples récents de menaces de déstabilisation de pays (le Mali, la Centrafrique) ont prouvé que la France doit être prête à intervenir rapidement puis si nécessaire à tenir le terrain, comme elle le fait notamment dans la bande sahélo-saharienne.
Cette situation sécuritaire dans le monde conduit la France à être présente dans de nombreux théâtres d’opérations. Nos forces sont ainsi confrontées à un phénomène de dispersion et d’éloignement des théâtres qui sollicite fortement les hommes, les capacités de logistique et de transport.
Au total, je constate que la France est plongée dans un monde qui a rarement été aussi dangereux et instable.
Globalement, les dépenses de défense en Europe ont baissé de 9 % depuis dix ans alors qu’elles progressent dans les autres parties du monde. La part des quatre premiers pays européens (Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie) dans les dépenses mondiales de défense est passée de 15 % en 2000 à 11 % en 2014. La France disposait du cinquième budget de défense en 2014 et ce montant est tombé à la septième place en 2015 derrière le Royaume-Uni et l’Inde.
Depuis plusieurs années le ministère de la Défense n’a pas assez de crédits en fin d’année pour honorer ses factures, engendrant un report de charge qui atteint 3,2 Md€ à fin 2015.
Dans le domaine des infrastructures, les crédits disponibles sont inférieurs de près de 3 Md€ aux crédits nécessaires pour assurer les besoins en maintenance pour les cinq prochaines années. Les nombreuses commandes de matériels militaires qui ont été lancées vont conduire à ce que fin 2016 plus de 85 % des grands programmes sur les dix prochaines années auront été engagés. À l’horizon 2022, il faudra honorer un besoin nouveau de financement de 3 à 4 Md€ par an. Le montant des dépenses pour les équipements devrait passer à près de 10 Md€ par an alors qu’il n’est que de l’ordre de 6 Md€ actuellement.
Ce n’est qu’à l’issue d’un audit approfondi et exhaustif qu’une nouvelle Loi de programmation militaire (LPM) pourra être conçue prenant en compte notamment les nouveaux programmes d’armement, l’entretien des matériels et les dépenses de personnel. Je vise ainsi, pour les dépenses de défense, un objectif avec pensions de l’ordre de 1,9 % du PIB à horizon 2022. Cela conduira à un effort supplémentaire chaque année de près de 2 Md€.
La plupart des pays d’Europe n’ont pas entretenu leur outil de défense. Soit parce que le « parapluie » de l’Otan leur paraissait suffisant, soit parce qu’ils se croyaient réellement à l’abri de nouveaux conflits.
Lors de ses interventions récentes au Mali ou en Centrafrique, la France n’a pas reçu le soutien de ses partenaires européens qu’elle aurait été en droit d’obtenir. Nos militaires ont dû attendre le vote de résolutions onusiennes pour se voir renforcés puis remplacés par une force internationale, mais pas par une force européenne.
Nous pouvons contribuer à faire émerger une alliance de la défense européenne en proposant à nos différents partenaires de s’associer avec nous dans les opérations extérieures ou à défaut de faire preuve de solidarité européenne en contribuant à financer les opérations extérieures conduites suite à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU.
Les effectifs, civils et militaires, consacrés à notre défense ont baissé sur les dix dernières années de près de 20 %. Ils sont passés pour l’ensemble du ministère de la Défense de 339 638 en 2006 à 271 534 en 2016.
Une partie de cette baisse a été dictée par des impératifs de professionnalisation, l’arrivée de nouveaux matériels et la restructuration de sites dont certains étaient l’héritage de structures préparées pour faire face aux menaces de l’Union soviétique. Mais ces diminutions sont allées au-delà du raisonnable et mettent en péril notre outil de défense. Il faut revoir cette situation autour d’un projet abouti afin de tenir compte des menaces.
Au-delà de la baisse des effectifs, c’est l’usure et le manque d’entraînement qui guettent nos soldats. Ils doivent aujourd’hui contribuer à l’opération Sentinelle, effectuer leur entraînement et réaliser des missions loin de leur foyer. Beaucoup d’entre eux passent près de 200 jours en dehors de chez eux et n’arrivent plus à prendre leurs congés.
Les effectifs des armées doivent être maintenus afin de pouvoir conserver un volant suffisant de forces pouvant s’entraîner ou être en opérations extérieures. C’est la raison pour laquelle je maintiendrai notamment les effectifs de la Force opérationnelle terrestre à hauteur de 77 000 hommes, quel que soit l’avenir de l’opération intérieure.
Plus généralement, le niveau de préparation de nos forces ne cesse de baisser. Le niveau d’activité d’entraînement par soldat de l’Armée de terre est ainsi tombé à 64 jours en 2015 contre 84 en 2014. Le nombre d’heures de vol par pilote d’hélicoptère de l’Armée de terre a baissé de 14 % sur les quatre dernières années, celui des pilotes de l’Armée de l’air a baissé de 21 %. L’entraînement des pilotes de chasse de l’Armée de l’air a baissé de 9 % sur la même période et celui des pilotes de transport de 11 %.
L’envoi de nos forces dans les zones d’opérations nécessite d’avoir du personnel qui a pu bénéficier d’un niveau d’entraînement maximum afin de pouvoir assurer sa sécurité et la réussite des opérations.
Nos forces manquent également de moyens spécifiques dans certains secteurs comme des transports de troupes, des patrouilleurs maritimes, des drones ou encore des avions ravitailleurs, sans oublier des matériels de l’Armée de terre, moins présents dans le débat public mais indispensables pour mener à bien les missions. De plus, les installations dans les bases de défenses sont pour certaines à bout de souffle et indignes des conditions de vie au quotidien pour les jeunes, femmes et hommes, qui se consacrent à la défense de leur patrie.
Le lancement de nouveaux programmes a été retardé au début de l’actuelle mandature dans l’attente de la rédaction d’un Livre blanc et d’une nouvelle LPM. Des programmes importants sont aujourd’hui en cours et il faudra les mener à terme. Mais il faudra aussi lancer de nouveaux chantiers.
Le rôle du chef des armées ne doit pas s’arrêter à la gestion des programmes d’armement sur un quinquennat. La préparation d’un outil de défense s’inscrit sur un temps long et doit permettre de se préparer aux menaces du futur. Dans ce cadre, le lancement des études pour le remplacement du Charles-de-Gaulle doit être programmé.
Le renouvellement des programmes d’armement ne doit pas s’arrêter aux programmes de grande ampleur car c’est souvent les lacunes des programmes de faibles montants qui peuvent être les plus pénalisants pour le fonctionnement quotidien de nos forces.
Par ailleurs, si les équipements militaires coûtent de plus en plus cher compte tenu de leur haute technologie, leur entretien est aussi très onéreux et nécessite un soutien technique fort. Cette exigence n’a pas été suffisamment prise en compte ces dernières années.
Au titre des programmes majeurs, je dois évoquer nos armements nucléaires.
La dissuasion est née de la volonté de la France d’assurer sa sécurité, de garantir sa liberté et d’afficher une ambition politique sur la scène internationale. La dissuasion nucléaire assure à la France un rang de grande puissance notamment au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. Et c’est une garantie ultime de sécurité. Il est indispensable de maintenir ce dispositif. Nous devrons prendre les mesures nécessaires pour assurer le renouvellement de nos forces de dissuasion.
Mais il ne faut pas pour autant ignorer les nouvelles menaces.
Dans quelques années des virus seront capables d’immobiliser une armée ou un pays. Les pirates informatiques s’attaqueront de plus en plus à des sites stratégiques que ce soit pour des raisons idéologiques, pour des malversations financières ou pour déstabiliser notre pays. La France doit renforcer sa capacité de lutter contre ces menaces afin de protéger nos armées, nos administrations, nos entreprises, nos hôpitaux ou encore nos moyens de transport.
Les armées doivent disposer de leur propre capacité et commencer à développer ce qui deviendra dans les prochaines décennies une cyber-armée. Les écoles d’ingénieurs qui dépendent du ministère de la Défense devront mettre en place une formation spécifique dans le domaine de la cyberguerre afin de former les futurs spécialistes dans le domaine. Il faut approfondir les efforts entrepris pour créer une véritable armée dans l’espace numérique, dotée de capacités défensives et offensives.
La France doit aussi faire un effort dans le domaine maritime qui fait l’objet de pressions et de risques particuliers. Les zones de piraterie menacent la circulation des navires comme c’est le cas dans le canal du Mozambique ou dans le golfe de Guinée. Le développement de la pêche illégale et du trafic de drogue par voie maritime, les incursions de plus en plus fréquentes de navires étrangers, la recherche de matières premières de la part de certains États, nécessitent de maintenir une présence efficace sur nos mers.
Les emplois, dans le domaine de la défense, sont de l’ordre de 165 000, ce qui représente près de 4 % de l’emploi industriel en France. Cinq des dix premiers grands groupes européens de défense ont une société mère française ou des implantations significatives en France. Le domaine de l’armement c’est aussi le domaine des PME avec environ 4 000 PME impliquées qu’il nous faut accompagner dans leurs relations avec la DGA, dans leur capacité à obtenir des financements pour la R&D et dans leurs contrats à l’export.
L’un des rôles de l’État est de s’assurer que les industriels français sont capables de répondre à la production d’armement pour nos armées. La France est l’un des derniers pays qui possède l’ensemble des capacités industrielles presque dans tous les domaines de la défense.
Les industriels français doivent être plus présents dans le domaine de la cyberdéfense et du renseignement numérique assis sur les données de masse. D’autres secteurs qui paraissent plus lointains ne doivent pas être négligés. Je pense en particulier à l’intelligence artificielle, au développement de drones ou à la création de robots en soutien, en appui ou en protection du combattant.
La France ne doit pas être tributaire de ses alliés pour la fourniture de ce type de matériels et il est impératif de rattraper notre retard.
La gestion des ressources humaines des armées doit tenir compte de son temps et des aspirations du personnel. La société a évolué, les jeunes générations veulent accorder davantage de temps à leur vie de famille et aspirent à pouvoir trouver un équilibre entre leur engagement professionnel et un projet personnel. Le monde militaire n’a pas encore pris la pleine mesure de cette évolution. De plus, les conditions d’engagements en Opex sont éprouvantes, les risques de syndromes post-traumatiques de plus en plus nombreux et il est indispensable de prendre en considération la qualité de vie du personnel. De même lors des mutations obligatoires dans le cadre de l’évolution des carrières, une attention particulière doit être portée sur les possibilités d’accompagnement du conjoint, la scolarisation des enfants, le logement de la famille. Parmi les grands enjeux du prochain quinquennat, il faudra accompagner la mise en œuvre des associations militaires et améliorer la prise en compte des 3e et 4e générations du feu. Nos soldats logent dans des casernements dont la vétusté n’est pas acceptable. En matière de logement social de gros efforts sont faits. La rénovation urbaine ne doit pas s’arrêter à la porte de nos casernes. Aussi, je proposerai qu’une partie des financements dans ce domaine permette d’accompagner les rénovations des logements des militaires.
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L’indépendance de la France, sa souveraineté, sa capacité à défendre ses intérêts vitaux et ses ressortissants, reposent sur ses forces armées. Le maintien d’une armée efficace et puissante est gage de crédibilité sur la scène internationale. Je veux remettre la défense de notre pays, au cœur des préoccupations et des priorités de l’État. Il y va de l’indépendance de notre pays et de la défense de nos valeurs. ♦