Discours du Premier ministre à la séance inaugurale de la 33e séance nationale de l'Institut des hautes études de défense nationale, à Paris le 11 septembre 1980.
La politique de défense de la France
C’est la quatrième fois que j’ai l’honneur de présider la séance de rentrée de l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale : et c’est pour moi un plaisir toujours renouvelé de me retrouver dans cet institut dont le renom et l’audience sont indiscutés.
Je saisis cette occasion pour rendre hommage à vos cadres pour la qualité des programmes qu’ils établissent et pour le dévouement avec lequel ils animent vos travaux. Je tiens tout particulièrement à exprimer mon entière confiance à l’amiral de Castelbajac qui vient d’être désigné comme directeur de l’Institut. Ma présence aujourd’hui porte de nouveau témoignage de l’intérêt que le gouvernement attache à l’Institut.
Dans la conférence de presse qu’il a tenue le 20 juin dernier, le Président de la République a déclaré que « les problèmes de défense sont parmi les plus complexes qui se posent dans le monde actuel. »
Votre passage à l’institut, Mesdames, Messieurs les auditeurs, vous permettra de découvrir la diversité de leurs aspects, et de prendre mieux conscience de leurs implications. Vous pourrez ensuite en toute connaissance de cause participer à l’effort d’information nécessaire pour faire comprendre à tous nos compatriotes la véritable nature, les exigences et l’importance de la Défense dans le monde moderne.
Venant de secteurs divers, vous avez le privilège de pouvoir aborder les problèmes, que vous aurez à étudier, par une approche pluridisciplinaire. De la confrontation de vos points de vue et de vos débats peuvent sortir un certain nombre d’idées propres à faire progresser nos conceptions en matière de défense.
Au moment où vous allez commencer vos travaux, je souhaite préciser devant vous les termes dans lesquels se posent les problèmes de sécurité de la France, et analyser les deux volets de notre politique de défense : la prévention de la violence par des moyens tenant compte de la variété des situations et de l’évolution des techniques, la recherche et le maintien de notre liberté d’action.
Les problèmes de sécurité de la France (1)
Le monde, vous le savez, est en pleine évolution. Dans tous les domaines, économique, politique, stratégique, de nouveaux équilibres se cherchent dans l’incertitude, le désordre et, parfois, l’affrontement.
En ce qui concerne les problèmes de défense, on peut illustrer le caractère incertain et instable des situations auxquelles nous sommes confrontés, par trois constatations.
En premier lieu, la vie internationale reste dominée par les rapports de force entre les deux super-puissances : États-Unis et U.R.S.S. Toute modification dans la supériorité relative de l’un ou l’autre des protagonistes altère ces rapports et les établit à un autre niveau. Ces oscillations se traduisent sans cesse par une avance ou un recul d’influence de l’une des puissances en cause dans telle ou telle partie du monde, avec des répercussions politiques inévitables pour les pays de la zone concernée. Depuis quelques années se manifeste une accélération de ce processus : le gouvernement soviétique a su, ou pu, au cours des dernières années dégager les possibilités offensives de la politique de coexistence au lieu de se borner, comme dans un passé moins récent, à un effort de réajustement défensif aux réalités du moment.
En second lieu, faute d’un consensus des grandes puissances sur la définition d’un ordre mondial, la violence politique, bloquée par l’équilibre précaire entre l’U.R.S.S. et les États-Unis, se manifeste sous forme de guerres marginales et limitées, d’interventions armées, de guérillas, d’actes de terrorisme, en nombre croissant.
Enfin, ces manifestations sont les signes visibles de tensions cachées causées par les déséquilibres démographiques, l’inégalité du partage des richesses entre les nations, la dégradation par l’homme du milieu naturel, le freinage du développement dû à la hausse massive du prix de l’énergie. Là sont les véritables défis de notre temps.
Bien que notre pays offre encore l’image d’un îlot de paix – et j’ajouterai même de relative prospérité – dans un monde en proie aux difficultés de toutes sortes, l’instabilité et les incertitudes internationales expliquent certaines appréhensions des Français et leur regain d’intérêt pour les problèmes de défense.
La France est, en effet, directement concernée par les affrontements, les crises et les conflits qui se déroulent dans le monde ; en Europe d’abord, où sont nos intérêts vitaux et où nous lient à nos propres voisins une étroite solidarité et une communauté d’intérêts ; outre-mer, où sont certains de nos départements et territoires, et des pays amis auxquels nous sommes attachés par tant de liens : partout enfin, sur terre et sur les océans, où la liberté de commerce et de transit est nécessaire à la vie économique de notre pays.
De plus, en raison de son passé et de sa tradition, la France a le devoir de contribuer partout dans le monde à l’apaisement des tensions et au règlement pacifique des conflits. Elle tient de la géographie et de l’histoire la mission de redonner à l’Europe l’influence politique que les crises et les guerres de la première moitié de ce siècle ont fait reculer.
Voilà pourquoi la notion de défense ne saurait être retenue pour la France dans un sens restrictif : elle doit être considérée dans toute son ampleur car elle concerne non seulement la protection de notre sol et de nos intérêts, mais aussi notre engagement pour les idéaux et les valeurs de notre civilisation, pour la paix et l’équilibre du continent européen.
La prévention de la violence
Parmi les périls auxquels peut être confronté notre pays, certains menacent l’intégrité du territoire, la souveraineté nationale, notre liberté de choisir librement notre destin. Ce sont ceux que nous devons prévenir et conjurer en toute priorité.
Pour se prémunir à l’égard d’une variété de types possibles d’agression, allant de la pression diplomatique ou économique à un éventuel bombardement nucléaire, en passant par l’action classique d’unités mécanisées, la France a fait choix – il y a vingt ans – d’une politique originale de défense adaptée à ses ambitions, correspondant à ses capacités, s’appliquant à la situation stratégique qui lui est propre.
Cette politique vise à dissuader tout agresseur éventuel de se livrer à une action de force dirigée contre nos intérêts vitaux en Europe par la certitude que son geste entraînerait, en retour, la destruction assurée d’une part notable de ses cités et de son économie : le dommage serait sans commune mesure avec le profit que l’agresseur pourrait espérer de son action.
Cette riposte éventuelle, pour être crédible, ne peut avoir un caractère de « tout ou rien », car son effet de rétention et d’inhibition n’est pas susceptible de s’exercer pleinement et immédiatement en toutes circonstances. Un agresseur pourrait douter de notre volonté d’accepter les sacrifices qu’implique, pour le pays, le recours aux armes nucléaires, et être tenté d’éprouver la réalité et la portée de notre détermination. De même, il pourrait estimer peu probable une décision de frappe en cas d’engagement mineur, aux franges de notre zone d’intérêt, et dans cette hypothèse chercher à procéder par grignotages successifs. Enfin, d’autres événements sont concevables, peu compatibles avec la menace d’emploi des armes nucléaires stratégiques.
Pour répondre à ces éventualités la France dispose de forces conventionnelles terrestres, maritimes et aériennes : leur engagement, conjugué si besoin est avec celui des forces nucléaires tactiques, permettrait soit de s’opposer victorieusement à une tentative d’agression mineure, soit de ne laisser aucun doute sur la réalité de notre détermination, soit encore de répondre aux exigences de toute situation qui pourrait se présenter en Europe ou en Méditerranée.
L’objectif de cette politique de défense est d’éviter la guerre en arrêtant à ses débuts le processus de la violence. Notre appareil militaire, par la diversité, la complémentarité et la souplesse d’emploi de ses moyens, doit permettre au chef de l’État de peser sur la volonté des dirigeants adverses à tous les moments du développement d’une crise, même si celle-ci revêt au départ le caractère d’un affrontement armé qui, soit nous concernerait d’emblée directement, soit affecterait initialement nos seuls voisins et alliés avant de nous atteindre.
Cette conception stratégique suscite actuellement dans notre pays un débat intellectuel digne d’intérêt. Pour apprécier la valeur relative des thèses en présence, je voudrais faire ressortir quelques points essentiels trop souvent perdus de vue dans les controverses.
Tout d’abord, en dépit de tout ce qui a pu être dit, ou écrit, sur la rupture entraînée dans nos modes de pensée par le fait nucléaire, toutes ses implications ne sont pas encore perçues clairement. Nombre d’esprits, parmi les meilleurs, continuent à raisonner en termes anciens de choses nouvelles, propension psychologique habituelle en cas de coupure épistémologique. Dans les ferments de la pensée stratégique, le concept d’emploi du feu nucléaire comporte des vues irréalistes. C’est ainsi que. dans une situation de crise où nous serions engagés, apparaît impensable un « échange nucléaire tactique » plus ou moins durable, qui ne s’étendrait pas de proche en proche à notre territoire national.
À l’inverse, les États-Unis et l’U.R.S.S. en sont venus à la conception d’un conflit nucléaire d’une certaine durée, à caractère éventuellement limité. Ces deux grandes puissances affirment, chacune dans le discours tenu à l’intention de l’autre, être prêtes à admettre l’éventualité d’une guerre nucléaire menée avec des armes stratégiques et poursuivie jusqu’à la victoire. Les Américains estiment pouvoir contrôler le conflit et le contenir au niveau des forces ; les Soviétiques, pour leur part, estiment inéluctable la montée aux extrêmes. Ces thèses ont peut-être une certaine rationalité. Mais je note qu’au-delà des premiers échanges envisagés, ces stratégies restent, en dernier recours, fondées sur l’inhibition de la violence par la certitude d’une destruction mutuelle assurée. Par l’emploi d’armes stratégiques associées à celles d’armes tactiques, les Américains, selon leurs propres déclarations, entendent « empêcher par dissuasion que de petites guerres n’éclatent dans des zones vitales » (2) tout en conservant une capacité de riposte anti-cités suffisante pour empêcher le conflit de dégénérer et prévenir une destruction intégrale des deux côtés. Il n’y a pas de stratégie antiforces – stratégie de guerre – qui ne soit au plus haut degré une stratégie anti-cités – stratégie de dissuasion.
Pour notre pays, le problème du choix entre une stratégie antiforces et une stratégie anti-cités ne se pose pas. La zone des conflits éventuels se situerait aux abords immédiats de notre pays, et le risque de voir un affrontement dégénérer et affecter le territoire national est hautement probable. Or, on ne méditera jamais assez sur ce point : toute action atomique sur le sol français a une signification stratégique en raison de la superficie réduite et de la forte densité de la population ; elle entraînerait automatiquement une riposte nucléaire anti-cités.
D’autre part, le voudrait-elle, la France, nation moyenne aux ressources limitées, ne peut prétendre rechercher la parité avec les deux grandes puissances nucléaires. La seule voie qui nous est ouverte est celle de la stratégie actuelle dont les fondements théoriques m’apparaissent au demeurant plus assurés. Le cadre d’emploi n’en est pas figé et reste suffisamment souple pour répondre de façon rationnelle à toutes les exigences de notre sécurité et à la diversité des situations marginales.
La dialectique des rapports entre Russes et Américains montre aussi pourquoi nous entendons continuer à rester maîtres de la décision d’engagement de nos forces : nous entendons éviter d’être entraînés, malgré nous, dans un conflit, alors que nos intérêts vitaux ne seraient pas menacés. Je rappelle que nous sommes en Europe directement concernés par la sécurité de nos voisins immédiats ; nous ne saurions par conséquent rester indifférents à toute action affectant leur liberté.
Ma dernière remarque concerne l’arme nucléaire à rayonnement renforcé. Arme atomique avant tout, elle en garde les restrictions d’emploi et le caractère de geste significatif au niveau stratégique. Comme telle, elle prendrait naturellement sa place dans notre appareil de dissuasion en se substituant dans certains cas à l’arme nucléaire tactique actuelle, car elle est plus souple et plus crédible d’emploi sur n’importe quel théâtre. Par contre nous ne pouvons faire reposer notre sécurité sur elle seule, en nous abritant derrière une quelconque « muraille de Chine » dont elle interdirait le passage. Tout au long de l’histoire, les peuples ont payé cher l’erreur de confier leur salut à un système rigide et trop facilement contournable. méconnaissant par là que l’essence de la stratégie est de peser sur la volonté adverse, en disposant, à tout moment de l’évolution d’une crise, des moyens d’action appropriés.
Je me suis relativement étendu sur les risques qu’encourt notre sécurité en Europe car ils sont de nature mortelle. Notre pays ne peut admettre à leur égard aucune impasse. En 1980, la France est parvenue à une capacité de dissuasion lui permettant de prévenir une agression majeure. Cette capacité sera maintenue dans l’avenir. Dans une période économique et sociale difficile, le gouvernement a consenti un effort financier exceptionnel pour la Défense. C’est ainsi que les crédits de ce département pour l’exercice budgétaire 1981 sont en progression de 17,9 % alors que ceux des autres ministères restent plafonnés. La part de ressources ainsi prélevée sur le revenu national est considérable : elle ne peut croître de façon illimitée, sous peine de compromettre le développement économique, l’équilibre des structures internes, et la solidité du pays.
Cette impérieuse nécessité a pesé dans la détermination de nos modes d’actions stratégiques comme elle pèse sur le choix des systèmes d’armes, des structures de forces, et sur l’efficience de nos industries d’armement. En tant que Premier ministre, chargé d’effectuer les choix et arbitrages budgétaires, j’ai toujours veillé, conformément aux instructions du Président de la République, à ce que notre défense puisse disposer des moyens financiers nécessaires à son efficacité.
Mais, dans les temps économiques difficiles que nous connaissons, nous acceptons en faveur de notre défense des sacrifices importants dans d’autres domaines de la vie nationale. Voilà pourquoi tout doit être mis en œuvre pour rechercher l’emploi optimal des crédits consacrés à nos armées, qu’il s’agisse de l’instruction des forces, de leur modernisation ou de leur développement, des dépenses consacrées à la recherche et à la fabrication des armes.
La liberté d’action
La défense ne consiste pas seulement à nous prémunir contre la violence, elle a aussi pour objet de donner à la France sa pleine liberté d’action. Cette préoccupation est à la base de nos actions extérieures comme de nos efforts intérieurs pour affermir le pays.
À l’extérieur, notre politique constante est naturellement d’assurer le respect des intérêts légitimes de nos ressortissants et de maintenir le libre accès de notre commerce aux sources d’approvisionnement indispensables à l’économie. Mais, limiter là notre ambition serait déroger à notre tradition séculaire. La France entend contribuer partout dans le monde à l’établissement de la paix, comme elle entend réduire les inégalités de développement par le dialogue et par la coopération. Par ses initiatives, elle a la volonté d’être partout, dans la mesure de ses moyens, un facteur d’ordre et de progrès.
L’action en ce domaine est avant tout diplomatique, économique, culturelle, mais s’appuie, si les circonstances l’exigent, sur la présence et, au besoin, l’engagement, de moyens militaires. Ainsi dans plusieurs circonstances récentes, et à la demande des gouvernements intéressés, la France n’a pas hésité à s’opposer à des tentatives de déstabilisation du continent africain ; de même nous avons été les premiers à accorder notre assistance humanitaire aux habitants de contrées touchées par les sinistres, la maladie ou la famine.
La France ne peut conduire sa stratégie de défense et agir à l’extérieur si sa sécurité intérieure n’est pas assurée. En particulier la mise en œuvre de la dissuasion est incompatible avec une désorganisation de l’État et avec des troubles graves mettant en cause la cohésion du pays.
Réaliser les conditions permettant à notre action stratégique de s’exercer sans entraves est l’objet de notre défense économique et de notre défense civile.
La France a le privilège de bénéficier depuis vingt ans d’un concept et d’une organisation de défense globale. L’ordonnance du 7 janvier 1959 pose le principe que la défense n’est pas uniquement militaire, mais s’étend à tous les domaines relevant de l’action et des responsabilités de l’État. Elle souligne la nécessité de dispositions permettant de faire face à des situations variées et à des niveaux de crise de gravité croissante. Mais les décrets d’application de l’ordonnance de 1959 ne tiennent pas compte de notre politique de dissuasion, qui a été définie postérieurement. Le gouvernement, à la demande du Président de la République, a entrepris de mettre en harmonie les textes découlant de l’ordonnance avec notre mode d’action stratégique.
Sa première préoccupation répond à un souci de cohérence. Les anciens textes sur la défense civile faisaient état de situations graves et imminentes justifiant des mesures de survie. Cette vision des choses correspond en fait à un échec de la dissuasion. Les dispositions que nous avons fait prendre privilégient au contraire les mesures susceptibles de contribuer au succès de notre action stratégique.
Sous la conduite du Secrétariat général de la défense nationale, des travaux sont en cours, avec les différents départements ministériels, pour actualiser les textes en ajoutant une dimension nouvelle aux dispositions existantes. Le but recherché est de disposer d’un ensemble de mesures préventives de précaution et d’action, pour faire face à des cas de crise de plus en plus graves.
Après les textes, les structures ont été aménagées pour donner plus de cohésion et d’efficacité à l’organisation de défense des différents départements ministériels. C’est ainsi qu’ont été placés, sous l’autorité directe de chaque ministre concerné, les hauts fonctionnaires de défense, chargés de veiller à ce que les préoccupations de défense soient effectivement prises en compte par les fonctionnaires qui en ont la charge, et se traduisent par des dispositions adaptées. Simultanément, au niveau du département, le rôle des bureaux de défense des préfectures a été précisé et élargi.
Reste la défense économique. Elle est encore fondée sur les idées anciennes d’organisation et de mobilisation de la nation en temps de guerre, qui ne sont plus adaptées aux réalités nouvelles. La définition d’un nouveau concept et la prise de dispositions concrètes appropriées s’imposent. C’est l’objet des études en cours, basées sur les enseignements tirés des récentes crises nationales et internationales.
Notre deuxième préoccupation est d’assurer la continuité de l’action gouvernementale et du fonctionnement des services majeurs du pays.
La dichotomie entre plans de protection et plans de défense n’est plus de mise. Le maintien de la continuité de l’action gouvernementale indispensable pour la maîtrise des crises est l’objectif prioritaire. Il faut donc que soient assurés en toutes circonstances la sécurité et le libre exercice des fonctions de commandement et de communication, et en premier lieu, bien évidemment, de celles qui conditionnent la mise en œuvre des forces et le maintien des activités gouvernementales essentielles.
Ces conditions seront facilitées par le fait que les responsables de la préparation et de la mise en œuvre éventuelle des mesures de défense en temps de crise sont désormais ceux-là mêmes qui ont, en temps normal, la charge de l’action quotidienne de l’État. Les transferts de la responsabilité de l’ordre public à l’autorité militaire sont ramenés à des cas exceptionnels, le principe étant que les deux autorités civile et militaire restent responsables de leurs missions spécifiques en s’apportant un concours mutuel.
La protection des populations, l’une des composantes de la défense civile, pose problème. Ce sujet préoccupe, à juste titre, les Français ; il va faire l’objet de vos études. Vous devrez tirer, en toute lucidité, les conséquences de trois données essentielles :
– la notion de défense passive est périmée : la protection des populations contre les effets directs d’une frappe nucléaire est impossible, et les délais d’alerte extrêmement réduits ;
– une politique massive de construction d’abris anti-souffle entraînerait des coûts démesurés ;
– pour un pays de superficie relativement réduite et à forte densité de population comme la France, la véritable protection contre les bombardements réside dans la force de dissuasion.
Le vrai débat est donc le choix entre une protection passive ou le renforcement de notre dissuasion. Nous ne pouvons faire l’une et l’autre. Ceci n’exclut pas, bien entendu, l’étude de dispositions préventives et la mise en œuvre de mesures réalistes et réalisables.
Conclusion
Dans le monde instable dans lequel nous vivons, la France aura d’autant mieux la capacité de se prémunir contre les périls extérieurs, de se préserver contre toute forme de violence, que sa cohésion nationale et son dynamisme économique et culturel seront assurés.
C’est la volonté constante du gouvernement de réaliser cette condition nécessaire et préalable de toute défense. C’est à quoi tendent ses efforts pour développer notre économie, pour rénover patiemment nos structures agricoles, industrielles et commerciales, pour créer des emplois sains et durables, pour assurer le progrès social et réduire les inégalités entre Français.
C’est à quoi tendent ses actions pour favoriser le redressement démographique, préparer la jeunesse aux tâches de demain, susciter dans le corps social tout entier l’esprit d’initiative et de responsabilité.
Tous les peuples connaissent dans leur histoire des défis et des épreuves. Ceux qui les surmontent en sortent grandis, ceux qui s’abandonnent ou renoncent ne comptent plus dans le jeu mondial. La France a jusqu’ici toujours su trouver en elle la volonté et les ressources nécessaires pour faire face et rester elle-même. Pour moi, qui ai depuis quatre ans la charge de conduire l’action du gouvernement dans des circonstances internationales et nationales difficiles, je voudrais dire une fois de plus que nous n’avons à douter ni de l’avenir de la France, ni de la capacité des Français au service de la France. ♦
(1) Les intertitres sont de la rédaction de la revue.
(2) NDLR : Déclaration de M. Harold Brown, secrétaire à la Défense des États-Unis, lors de l’interview accordée à Thierry de Scitivaux, journaliste à TF1, diffusée le 2 juillet 1980, et publiée à la date du 10 juillet dans USA Documents, des services d’information et de relations culturelles de l’ambassade des États-Unis à Paris. Le passage auquel il est fait ici allusion est le suivant : « Dans cette mesure, l’existence d’armes stratégiques, associée à celle de cet engrenage d’armes nucléaires tactiques, sert à empêcher par dissuasion que de petites guerres n’éclatent dans les zones vitales. Mais il faut payer le prix de cette dissuasion et ce prix, le voici : si une petite guerre commence, la possibilité existe qu’elle dégénère et entraîne une dévastation intégrale des deux côtés. »