À la suite du conflit en Géorgie, Moscou a entrepris de réviser sa doctrine militaire en la modernisant, tout en donnant aux armées de nouveaux moyens pour agir sur un éventail beaucoup plus large. Les dernières opérations confirment le bien-fondé des choix faits aux yeux du Kremlin.
L’évolution de la pensée stratégique et de l’art opératif russes
The Evolution in Russian Strategic Thinking and Operational Art
Since the conflict in Georgia, Moscow has revised and modernised its military doctrine, allocating new assets to its forces so that they are able to act over a far wider range of operations. Seen from the Kremlin, recent operations have confirmed the wisdom of the choices made.
Pour comprendre la disposition d’esprit des stratèges russes à l’heure actuelle, il est utile de tenir compte de la vision prédominante à Moscou, dans laquelle leurs idées se sont développées.
Selon cette vision dominante, la confrontation avec l’Occident s’est poursuivie depuis l’effondrement de l’Union soviétique. La compétition géopolitique n’a pas pris fin avec la guerre froide, elle a changé de forme sans que les principaux objectifs des acteurs aient varié. Cette compétition a revêtu deux dimensions. Au plan extérieur, Moscou a tenté de limiter les dégâts du moment unipolaire de l’après-guerre froide, au cours duquel son rôle dans l’arène internationale a subi une marginalisation sans précédent dans l’histoire moderne. Moscou s’est efforcé continuellement de faire tendre l’ordre international vers la multipolarité, afin de s’assurer un rôle dans le concert des grandes puissances. L’Occident pour sa part
– toujours selon l’interprétation dominante à Moscou – s’est opposé à ces tentatives et a tenté de multiples manières d’empêcher la Russie de retrouver son statut de puissance internationale. Dans le même temps, la compétition avec l’Occident s’est déroulée sur la scène intérieure. Selon Moscou, l’Occident, depuis la fin de la guerre froide, a essayé d’imposer à la Russie ses valeurs politiques et économiques ainsi que son mode de vie qu’il considère comme universel. Celui-ci a été perçu principalement comme un élément de soft power et un outil de subversion géopolitique. Ainsi, Moscou a considéré la compétition extérieure et la compétition intérieure comme deux aspects d’un même affrontement géopolitique mondial avec l’Occident.
D’après cette vision, la compétition stratégique avec l’Occident a connu depuis le début des années 2000 une escalade constante, devenant d’abord une confrontation puis une guerre. L’Occident a provoqué cette escalade pour une raison simple : la situation intérieure et extérieure de la Russie s’améliorait après une décennie de troubles consécutifs à la disparition de l’Union soviétique. À mesure que la Russie se redressait, la réaction occidentale se faisait plus forte et la pression s’accroissait tous azimuts. En dépit des serments faits par l’Occident – et considérés comme sincères à Moscou – de dissoudre l’Otan, ou du moins de ne pas l’élargir, l’Alliance atlantique n’a eu de cesse de s’étendre vers l’Est, intégrant d’abord d’anciens membres du pacte de Varsovie, puis même les pays baltes, anciennes républiques soviétiques. Simultanément, Moscou a vu s’affaiblir le potentiel de sa force de dissuasion nucléaire, qui constituait pourtant sa seule parade stratégique compte tenu de son infériorité conventionnelle. Les États-Unis se sont retirés unilatéralement du traité ABM (Anti-Balistic Missile) et ont commencé à déployer des systèmes de défense antimissiles à la périphérie de la Russie. Alors que les arsenaux nucléaires ont été réduits en application des traités START (Strategic Arms Reduction Treaty), les États-Unis se sont équipés de capacités de frappe planétaire (Prompt Global Strike), ce qui a soudainement remis en question l’efficacité des capacités russes de frappe en second. Ces inquiétudes se sont encore accentuées au milieu des années 2000, du fait de ce que Moscou a perçu comme une subversion occidentale dans sa zone d’intérêts privilégiés, en particulier après les révolutions colorées. Le problème le plus grave venait du rapprochement occidental avec l’Ukraine et la Géorgie, ressenti par Moscou comme une ingérence dans son étranger proche. En 2008, lorsque Moscou a recouru à la force en Géorgie, pour empêcher celle-ci de tomber dans l’orbite occidentale, la confrontation a franchi une ligne rouge pour devenir une véritable guerre.
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