Présentation
Pour sa réunion-débat du 17 décembre dernier, organisée conjointement avec la Fondation pour les études de Défense, le Comité d’études de défense nationale (CEDN) qui édite cette revue avait choisi un sujet sensible, surtout dans la conjoncture actuelle. Si nous en avions accepté le risque, c’est que la question posée est capitale pour la sécurité de notre pays ; il nous aurait paru indigne de l’escamoter de la part d’organismes dont les raisons d’exister sont les études de défense, et dans une revue qui ose s’intituler « Défense Nationale » et se veut indépendante.
Nous avions pris cependant la précaution d’intituler notre sujet : « Bataille en Europe : Point d’interrogation », libellant donc en toutes lettres ce point d’interrogation, afin qu’il ne soit pas possible de le faire sauter et d’insinuer ainsi que nous préconisions ou privilégions « la bataille ».
Notre propos se bornait en effet à l’examen des rôles qu’il est possible d’attribuer à nos « forces de manœuvre », dans la perspective d’une éventuelle confrontation militaire en Europe. Notre idée était de conduire cette analyse d’une façon aussi objective et aussi claire que possible, puisqu’il nous semblait qu’elle était souvent obscurcie, même dans le public éclairé, par des a priori idéologiques et, même chez les spécialistes, par l’usage d’un vocabulaire ambigu — la raison de cette ambiguïté étant d’ailleurs aussi, il faut le reconnaître, que le rôle des armes nucléaires tactiques, dont sont munies maintenant nos forces de manœuvre, implique un certain flou, ce flou congénital au concept de la dissuasion nucléaire.
Pour tenter, donc, de nous affranchir des déclarations en forme de slogans et des simplifications du type « il n’y a qu’à », nous avons pensé que le mieux était d’approcher notre sujet du point de vue de la technique militaire et de rester dans un environnement concret, c’est-à-dire celui concevable au cours de l’actuelle décennie.
En nous rappelant toujours que notre objectif restait celui de la dissuasion, à savoir préserver la paix, les questions que nous pouvions nous poser dans la perspective indiquée étaient, nous a-t-il semblé, les suivantes :
Première question : Que pouvons-nous faire dans ce sens en Europe, nous Français, avec les forces de manœuvre que nous avons ou que nous sommes susceptibles d’avoir d’ici dix ans ?
Deuxième question : Quelles peuvent être les conséquences stratégiques ou diplomatiques de telle ou telle « posture » de ces forces, en employant ce mot au sens anglais, qui englobe composition, stationnement et doctrine d’emploi ?
Notre propos n’était donc pas, j’y insiste encore, de préconiser telle ou telle « posture » de nos forces de manœuvre, mais seulement d’essayer de dégager les enjeux que peuvent impliquer les réponses à nos questions.
Pour ne pas nous écarter de l’essentiel de ce propos, nous étions convenus de ne remettre en cause, au cours de notre débat, ni la valeur dissuasive de notre force nucléaire stratégique, ni notre appartenance à l’Alliance atlantique, ni notre refus d’intégration dans son organisation militaire, ni enfin la Communauté européenne dans son état actuel, c’est-à-dire sans unité politique véritable et dépourvue d’exécutif.
Enfin, nous avions mis en garde les participants au débat, pour qu’ils éclairent bien leur propos lorsqu’ils seraient amenés à employer certains mots pouvant paraître ambigus, comme : dissuasion, sanctuaire, riposte, test… et même bataille, comme le remarquera avec humour le premier de nos orateurs.
Aussi bien convient-il maintenant que je laisse ces orateurs présenter, dans les pages qui vont suivre, leurs réponses personnelles aux questions que nous leur avions posées sur la « Bataille en Europe : Point d’interrogation ».
Voici ces réponses, qui n’engagent donc pas la Revue, telles que les ont exposées les hautes personnalités militaires du cadre de réserve qui nous avaient fait l’honneur d’accepter notre invitation :
– le général Valentin, ancien commandant de la 1re Armée et auteur de l’ouvrage récent très remarqué : Une politique de défense pour la France, préfacé par M. Pierre Messmer ;
– le général Gallois, que nous n’avons pas besoin de présenter plus longuement à nos lecteurs ;
– le général Thiry, ancien directeur des Centres d’expérimentations nucléaires, et l’amiral Delahousse, ancien attaché des forces armées en Grande-Bretagne qui, faisant tous deux partie d’un même groupe d’études, ont répondu conjointement à nos questions.
Nous les remercions vivement d’avoir ainsi animé nos réflexions sur un sujet d’aussi capitale importance. ♦