Conclusions
Comme nos lecteurs l’auront constaté dans les pages qui précèdent, les exposés des personnalités qui avaient bien voulu accepter d’animer notre débat ont été très riches en idées originales, et de leur côté les interventions de nos invités, qui étaient venus très nombreux les écouter, ont sensiblement enrichi la discussion, qui fut fort animée tout en conservant une parfaite tenue.
Ces constatations n’entraînent cependant pas que nous soyons à même maintenant d’apporter une réponse péremptoire à la question que nous avions posée : « Bataille en Europe : Point d’interrogation ».
En effet, ce point d’interrogation ne portait pas seulement, dans notre esprit, sur l’opportunité d’envisager une telle bataille et sur les conséquences possibles de l’acceptation de son éventualité. Il s’appliquait aussi aux conditions qui peuvent être raisonnablement imaginées pour son exécution, du point de vue de la technique militaire auquel nous avions décidé de donner la priorité dans notre propos. En bref, notre point d’interrogation concernait également le où ? quand ? comment ? de la participation de notre force de manœuvre à une éventuelle confrontation militaire en Europe. et sur ce sujet nous sommes restés passablement sur notre faim, mais sans doute parce qu’il était trop sensible.
Nous ne commenterons donc pas cet aspect de nos préoccupations et nous nous bornerons à énumérer ici les quelques idées générales qui nous paraissent résulter de notre débat :
1. Dissocier la défense de la France de celle de l’Europe ne serait pas réaliste ou supposerait un renversement complet de notre politique.
2. La solidarité d’attitude et de comportement est plus dissuasive que l’intégration.
3. La notion d’autonomie de décision est plus concrète que celle d’indépendance.
4. La multiplicité des pôles de décision renforce la dissuasion, en multipliant les incertitudes.
5. Pour maintenir le plus longtemps possible la liberté de décision du chef de l’État, il convient de laisser ouvert le plus grand nombre de choix possibles.
6. S’il est dangereux de faire des impasses, un pays comme le nôtre ne peut se munir à la fois de tous les moyens répondant à toutes les circonstances imaginables ; les choix à faire concernent donc les priorités.
7. La dissuasion nucléaire au niveau stratégique reste notre ultime recours ; il serait dangereux de renoncer à son concept qui refuse la logique de la guerre.
8. La conscience que nous avons de disposer d’une bonne doctrine de défense ne doit pas entraîner le sommeil intellectuel ; il convient donc d’actualiser en permanence nos concepts.
9. Ce qui importe le plus en définitive, c’est la volonté de défense.
Mais pour ne pas terminer sur ces idées générales, qui relèvent d’ailleurs plutôt du bon sens, nous nous permettrons de citer, pour conclure, les propos d’une personnalité éminente qui nous avait fait le grand honneur d’assister à notre réunion. Le général de Boissieu, en effet, a bien voulu accepter de prendre la parole à la fin de nos débats pour en tirer en quelques mots la philosophie. Le Grand Chancelier de la Légion d’Honneur a terminé son propos en racontant cette anecdote très significative.
« Lorsque le général de Gaulle a su que j’allais devenir chef d’état-major de l’armée de terre, il m’a dit : “Votre programme est tout tracé.” Il pensait probablement que j’allais lui répondre : “Ma première tâche sera de rénover l’ensemble des chars”, puisque celui-ci commençait à vieillir sérieusement. Mais je n’ai pas commis cette erreur. Je lui ai dit : “Je crois que ma tâche la plus urgente sera de réaliser les Pluton”. Il m’a alors répondu : “Exactement, et j’espère que votre camarade de l’Armée de l’air rendra, de son côté, le plus rapidement possible la FATAC opérationnelle avec l’atome tactique, car ainsi l’ensemble Première Armée-FATAC pourra à son tour participer à la dissuasion générale de la France” ».
Nous ne pouvions souhaiter une conclusion qui réponde mieux à nos préoccupations. ♦