Preamble—Artificial Intelligence, a Strategic Break
Préambule – L’intelligence artificielle, une rupture stratégique
C’est entendu, l’intelligence artificielle (IA) a investi tous les secteurs de notre société. Il ne se passe pas un jour sans qu’un nouveau développement, une nouvelle application soit annoncés. Un sujet polymorphe auquel plus personne ne peut échapper, tant il est devenu omniprésent. Bien sûr la Défense n’échappe pas à ce maelstrom et ce, d’autant plus que derrière les enjeux technologiques et opérationnels se dessinent des enjeux de puissance et de souveraineté.
Il était donc inévitable et indispensable que la Revue Défense Nationale, fière de ses 80 ans d’existence et riche de sa participation à tous les grands débats stratégiques depuis sa création, s’intéresse à ce phénomène qui devrait bouleverser notre futur et notamment celui de la Défense. L’IA est en effet une technologie émergente dont la maîtrise peut assurer un avantage militaire décisif.
La démarche ici adoptée est double, d’une part dresser un constat aussi complet que possible de l’état de l’art au sein du ministère des Armées et plus largement dans le monde de la Défense, ce qui implique les industriels et d’autre part essayer d’esquisser les grandes lignes prospectives de l’IA dans la défense.
S’agissant du constat, il ne peut être exhaustif car l’éventail très large des contributions montre que toutes les entités du ministère des Armées développent des compétences en matière d’IA et l’ont intégré non seulement dans leur réflexion mais aussi dans la conception actuelle de leurs équipements ou processus.
Il reste, et c’est un des objectifs fixés par la ministre des Armées, à coordonner ces investissements de toutes natures et à leur donner une cohérence indispensable.
S’agissant de l’élaboration d’une vision prospective, on discerne bien à la lecture de ces articles qu’elle est faite de beaucoup plus d’incertitudes et de questionnements que d’affirmations. Certes, tout le monde s’accorde pour dire que l’IA sera de plus en plus présente dans tous les domaines depuis la prise de décision jusqu’au champ de bataille en passant par le cyberespace, la maintenance et les ressources humaines. Mais l’IA constitue-t-elle une véritable rupture technologique, plus encore révolutionne-t-elle l’art de la guerre ou bien n’est-elle qu’une évolution technologique certes importante mais semblable à d’autres évolutions connues dans le passé ?
Quel degré d’autonomie sera accessible et acceptable dans les prochaines années et d’ailleurs comment définir l’autonomie ? La machine possédera-t-elle un jour la capacité d’excéder les capacités cognitives des êtres humains ?
Quelle sera la place de l’homme, du Chef, dans la prise de décision et dans la conduite de la guerre ?
Enfin, et inévitablement, comment marier IA et éthique dans les applications militaires ? Entre le fantasme de la robotisation triomphante et du mariage des algorithmes biochimiques et des algorithmes électroniques dépouillant l’homme de la maîtrise de son destin et l’optimisme des positifs qui pensent que l’humain sera toujours le maître des algorithmes, comment faut-il régler ou tenter de régler le curseur ?
Faut-il voir les algorithmes comme une bombe à retardement du fait de leur opacité et de la difficulté de pouvoir « expliquer » les décisions prises par des systèmes autonomes ?
Telles sont quelques-unes des questions, parmi beaucoup d’autres, qui se posent même si certaines ont déjà des réponses partielles. Questions d’autant plus sensibles qu’une convergence entre l’IA et le militaire peut susciter des inquiétudes, voire des frayeurs et doit inciter en tout cas à une approche juridique et éthique prudente et réfléchie. La création d’un comité d’éthique ministériel annoncé par Mme Florence Parly, permettra de prendre en compte ces aspects.
L’intérêt de ce numéro de la RDN réside justement et avant tout dans le fait qu’il pose des questions avec l’espoir que ses contributions permettront au lecteur de mieux saisir ce qu’implique pour le monde de la Défense et pour notre société l’irruption fulgurante de l’IA dans l’espace militaire. Au-delà, il nous invite à réfléchir à l’impact du progrès technologique afin d’éviter que l’homme ne soit victime de sa démesure.
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Que les auteures et les auteurs soient ici remerciés pour avoir accepté de participer à cet exercice périlleux, particulièrement nos auteurs étrangers, le CREC de Saint-Cyr ainsi que le chef de bataillon Antoine Naulet dont le rôle a été déterminant pour la conception de cet exemplaire de la Revue Défense Nationale consacré à l’IA et à ses enjeux pour la Défense.