Si la Défense n’est qu’un secteur de l’innovation parmi bien d’autres, on y retrouve la contrepartie militaire de l’ensemble des technologies et usages du monde civil. Bien des théories scientifiques y ont connu leurs premières applications, pour le meilleur et pour le pire. Le sens et l’importance des transferts de technologies entre le monde civil et le monde militaire ont été variables dans l’histoire moderne ; on se souvient par exemple du rôle de la Défense dans la naissance de l’Internet. Aujourd’hui, cependant, l’écrasante majorité des transferts circule du monde civil vers le monde militaire. C’est d’autant plus vrai dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA) : d’une part, le secteur de la Défense est bien au courant, depuis longtemps, de ses enjeux ; d’autre part, la dynamique actuelle est très largement impulsée par les usages civils, et encore plus spécifiquement par les grandes entreprises du numérique.

Après la vague des systèmes experts et des méthodes ontologiques, l’IA s’est développée dans les années récentes sur une combinaison de techniques variées, dans lesquelles l’apprentissage automatique basé sur des statistiques et des simulations joue un rôle majeur. À la fin, la définition même de l’IA s’avère illusoire : on peut désigner sous ce terme toute solution algorithmique effectuant des tâches sophistiquées, multiparamètres, évolutives, à adapter aux conditions particulières. Au-delà de l’engouement général autour de la thématique, et de sa quasi-omniprésence dans les questionnements stratégiques de toutes les organisations, on peut se convaincre qu’il ne s’agit ni d’un sujet de niche, ni d’une mode éphémère, mais d’un enjeu transverse qui aura de l’impact dans tous les aspects de notre société. Les changements de grande ampleur sont sans doute inévitables, certainement imprévisibles. Ils peuvent résulter en de nouveaux outils (par exemple un traducteur simultané universel) ou dans l’identification de nouvelles méthodes et stratégies (de la même façon que DeepMind a permis d’identifier de nouvelles stratégies pour jouer au go, ou Starcraft). Ces évolutions affecteront aussi le secteur de la Défense, avec certaines particularités : un accent sur la fiabilité, une sensibilité extrême aux questions éthiques, la difficile conciliation de la confidentialité et de l’ouverture qui caractérise la recherche en IA. Le contraste entre le besoin de stabilité et de sécurité en matière de défense, et le caractère mouvant, expérimental, rapidement changeant des applications civiles, appelle à un dialogue renforcé entre militaire et civil.

Une nécessité pour le futur de la Défense

Rester en marge de la révolution de l’IA n’est pas un choix envisageable. D’une part, nos adversaires actuels ou à venir poursuivront leur course en perfectionnant leurs armes avec toutes les possibilités des technologies émergentes ; ne pas développer notre expertise en la matière, ce serait être incapable de se défendre. D’autre part, ces technologies permettront d’accroître l’efficacité et la sécurité de nos armées dans l’exercice de leurs missions, et la meilleure protection de nos concitoyens. Les États sont parties prenantes, mais ne sont plus les seules menaces : nous avons à faire face à des acteurs multiformes, qui ne se soumettent pas aux mêmes lois ni conventions que les nations. On le voit très bien aujourd’hui dans le domaine de la cybersécurité.