Présentation
Le sujet que nous avions proposé à la réflexion de nos invités à notre réunion-débat du 19 mars était bien au rendez-vous de l’actualité, comme nous l’avions souhaité lorsque nous l’avions choisi six mois auparavant.
Le monde entier a, en effet, les yeux tournés vers les puits du « Golfe », au moment où le président Reagan est en train de décider des voies et moyens qu’il adoptera pour mettre en œuvre dans cette région la doctrine proclamée en janvier 1980 par son prédécesseur. On se rappelle qu’au lendemain de l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques, le président Carter avait solennellement déclaré : « Toute tentative, par quelque force extérieure que ce soit, d’obtenir le contrôle de la région du Golfe sera considérée comme une attaque contre les intérêts vitaux des États-Unis, et cette attaque sera repoussée par tous les moyens nécessaires, y compris la force militaire ».
Que le Golfe, persique pour les uns ou arabique pour les autres, puisse actuellement attirer les « perturbateurs » est une évidence. Cette région est éminemment instable par nature, et son ancien « gendarme », l’armée iranienne, a été rendu impuissant par la révolution khomeiniste, sans que l’armée irakienne, sa rivale devenue maintenant son ennemie, se soit montrée capable de la remplacer dans ce rôle.
Que la prise de contrôle des puits du Golfe puisse constituer une tentation majeure pour les dirigeants de l’Union soviétique est une autre évidence. Elle leur donnerait en effet la clef de la domination du monde, en mettant à leur merci, sans autre combat, tous les pays industrialisés.
C’est d’ailleurs la perception de cette menace qui a rendue si grave l’invasion de l’Afghanistan par les troupes soviétiques, puisqu’elle pouvait être interprétée comme un premier bond en direction du Golfe.
Que, pour l’Europe, et tout particulièrement pour la France, le libre accès aux puits de pétrole de cette région soit aussi, et au sens propre du terme, un intérêt vital, est une troisième évidence : nous tirons de ces puits les trois-quarts de nos approvisionnements en pétrole, proportion qui n’est atteinte que par le Japon.
Enfin, le Golfe ne constitue pas seulement l’enjeu probable et décisif de l’affrontement Est-Ouest. Il est aussi au point de rencontre géographique, économique et politique de la confrontation Nord-Sud. C’est là qu’apparaissent dans leurs réalités profondes les difficultés d’un « trilogue » entre l’Europe, le monde islamique et le continent africain, et également l’impasse dans laquelle se débat le conflit israélo-arabe.
Toutes ces raisons continuent à faire du Golfe et de ses abords le point chaud par excellence de notre monde actuellement porté à la violence et au chantage. Mais le propos de notre réunion-débat n’était pas de développer ces idées générales qui l’ont déjà été ailleurs, éminemment et abondamment. Conformément à notre vocation spécifique qui est centrée sur la défense, nous entendons en effet porter notre réflexion à un niveau aussi opérationnel que possible. Nous souhaitons donc analyser plus particulièrement les menaces concrètes qui pèsent sur les puits du Golfe et tenter de percevoir les parades pratiques qu’il est effectivement possible de leur opposer. Ainsi nous voulions chercher des débuts de réponse aux quatre questions qui suivent.
lre question : À quelles menaces concrètes et immédiates sont soumis les approvisionnements de pétrole venant du Golfe ? Nous ne voulons pas ici faire allusion seulement à l’anarchie résultant d’une éventuelle déstabilisation politique ni à l’embargo provoqué par un éventuel chantage économique, mais surtout aux possibilités de sabotages, de raids de commandos ou d’actions ponctuelles, notamment dans le détroit d’Ormuz, dont la presse a souligné, peut-être exagérément d’ailleurs, la vulnérabilité.
2e question : Les puissances occidentales peuvent-elles envisager l’emploi de la force militaire pour garantir leurs approvisionnements en provenance du Golfe et, si l’on répond oui, dans quelles circonstances, dans quelles limites, et avec quels moyens ? Nous faisons allusion ici, en particulier, aux capacités effectives de cette « force à déploiement rapide », dont la presse parle si souvent aujourd’hui.
3e question : Peut-on concevoir une action concertée des puissances européennes et des États-Unis dans le Golfe et ses abords ? Si oui, cette action peut-elle s’étendre au domaine militaire ? Sinon, peut-on envisager une répartition des tâches, comme cela a été suggéré, l’Europe se consacrant à sa défense immédiate, les États-Unis prenant en charge l’Océan Indien ?
4e question : Les puissances occidentales doivent-elles accepter de causer avec l’Union soviétique à propos du Golfe, pour envisager un éventuel système conjoint de garanties au libre accès au pétrole, comme celle-ci l’a proposé ? Vaut-il mieux, au contraire, accepter l’éventualité d’une neutralisation de cette région, voire même de l’ensemble de l’Océan Indien, comme certains de ses riverains l’ont demandé ?
Pour animer nos réflexions sur ces différents sujets et sur tous ceux qui peuvent venir à l’esprit dans ce domaine, nous avions fait appel à trois personnalités hautement compétentes que nous remercions vivement pour leur concours : M. Vincent Labouret, secrétaire général et directeur des relations extérieures de la Compagnie française des pétroles, M. Michel Tatu, du journal Le Monde, qui est un des meilleurs observateurs des relations entre les deux superpuissances, et l’amiral Jean-Jacques Schweitzer ancien major général de la marine, qui avait, auparavant, commandé les forces maritimes françaises dans l’océan Indien.
Nous reproduisons ci-après les exposés de M. Michel Tatu et de l’amiral Schweitzer concernant respectivement les stratégies américaine et soviétique d’une part et la stratégie française d’autre part, face « aux menaces sur les puits du Golfe », en les faisant précéder par un article qui en précise le cadre.
Le présent numéro comporte ensuite, comme nous le faisons toujours pour la reconstitution de nos réunions-débats, une synthèse des commentaires faits par les auditeurs qui avaient répondu particulièrement nombreux à notre invitation. On trouvera également, à la suite, deux articles qui nous ont été proposés après le débat mais qui compléteront heureusement le dossier que nous pouvons ainsi mettre à la disposition de nos lecteurs. Il s’agit d’abord d’un exposé intitulé : « Enjeux et défis dans le Golfe et l’océan Indien » que l’amiral Labrousse a présenté lors d’un colloque à la Fondation du Futur qui a eu l’amabilité de nous autoriser à le reproduire. Le second est relatif à « La force à déploiement rapide » américaine, par M. Peter Berger.
On pourra également se reporter utilement à l’article de M. Georges de Bouteiller, ancien ambassadeur en Arabie Saoudite, intitulé : « Après Taef, la nation islamique », paru dans notre livraison d’avril, et à l’article de Philippe Rondot « La guerre du Golfe », publié en juin.
Tous ces auteurs ont ainsi apporté une importante contribution à notre réflexion sur un thème « Menaces sur les puits du Golfe », qui paraît capital pour l’avenir du monde et pour celui de notre pays. ♦