Si la France et le Royaume-Uni sont des puissances nucléaires, leur approche du concept de dissuasion n’est pas strictement identique, même si de nombreuses convergences existent. De plus, le sujet est très peu présent dans le débat stratégique britannique. Il y aurait donc beaucoup à gagner en approfondissant les discussions, y incluant également nos partenaires européens pour qu’ils en comprennent les finalités.
Futur imparfait
Future Imperfect
Both countries are nuclear powers yet their approaches to the concept of deterrence are not strictly identical, even though there are many areas of convergence between them. In addition, the subject appears little in British strategic debate. There would be much to be gained from intensifying discussions, and from bringing our European partners into them.
En 1971, Ian Smart a examiné la coopération anglo-française naissante en matière de dissuasion nucléaire, en tenant compte des facteurs techniques, économiques, politiques et internationaux dans un article intitulé « Futur conditionnel : les perspectives de la coopération nucléaire anglo-française » (1). Le « Traité entre le Royaume-Uni et la République française relatif aux installations radiographiques/hydrodynamiques conjointes » de 2010, partie du traité de Lancaster House, facilite dans une large mesure la coopération dans de nombreuses questions examinées par Ian Smart. La coopération technique et économique permise par le projet Teutates est bien engagée, et les deux pays devraient en bénéficier lorsqu’ils commenceront à travailler sur les essais de synthèse pour les conceptions d’ogives nucléaires modernisées dans les installations d’essais hydrodynamiques partagées d’Epure en France et du Technology Development Centre au Royaume-Uni.
Cet article examine ce que Smart considérait comme les facteurs politiques et internationaux. Il compare brièvement le développement des politiques de dissuasion nucléaire des deux États, mettant en évidence les principales différences philosophiques entre une vision « européenne » distinctive et la vision « américaine » plus répandue. Il conclut que les deux États d’Europe occidentale dotés d’armes nucléaires (EDAN) peuvent collaborer plus efficacement pour éduquer leurs alliés, éclairant ainsi la réflexion européenne sur la dissuasion nucléaire. Des scientifiques français et britanniques ont été impliqués dès le début du projet Manhattan. Après que la loi américaine McMahan ait interdit le partage de la technologie des armes atomiques, le Royaume-Uni et la France ont chacun développé des programmes unilatéraux, bien que le Royaume-Uni travaille en étroite collaboration avec les États-Unis depuis l’accord de défense mutuelle de 1958. Les forces nationales conventionnelles sont « affectées à l’Otan » et relèvent du Commandement opérationnel de l’Otan (OPCOM). Bien qu’ils restent des forces nationales, le Commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) exerce au jour le jour le commandement de leur déploiement et de leurs actions. Il n’en va pas de même pour les forces nucléaires britanniques. Pour faire face aux pressions antinucléaires internes du gouvernement travailliste de 1963, les forces Polaris ont été « affectées à la défense de l’Otan » ; une formulation très soigneusement choisie à la place de « allouées ». L’Otan n’a aucune autorité de commandement ou de contrôle sur les forces de dissuasion nucléaire britanniques. La décision d’employer des armes nucléaires britanniques, soit à l’appui d’une demande de l’Otan, soit indépendamment, relève de l’autorité du Royaume-Uni.
Le développement nucléaire français a été caractérisé par une affirmation farouchement indépendante de sa souveraineté. Le président Charles de Gaulle s’est engagé activement et a vu dans les armes nucléaires l’incarnation de la souveraineté ; presque le symbole de l’autonomie française vis-à-vis des États-Unis pendant la guerre froide (2). « … Nous avons les moyens de dissuader un attaquant potentiel sans préjudice de nos alliances, mais sans que nos alliés tiennent jamais notre destin entre leurs mains… » (3). Tous les Présidents qui ont suivi se sont associés à sa politique de dissuasion nucléaire dans un discours public. En 1981, le président Mitterrand affirmait : « La pièce maîtresse de la dissuasion de la France est le chef de l’État, c’est moi. » (4) Plus récemment, le président Chirac, en 2006 : « Cela nous donne aussi le pouvoir d’être maître de nos actions, de notre politique, de la permanence de nos valeurs démocratiques, d’où que vienne la pression. » (5) Bref, sa propre sécurité étant finalement assurée par sa propre dissuasion nucléaire, la France ne peut être contrainte par des adversaires ou alliés. Cela dit, en privé, le Premier ministre britannique Attlee a admis : « Nous avons dû maintenir notre position vis-à-vis des Américains. Nous ne pouvions pas nous permettre d’être entièrement entre leurs mains et leur position n’était pas toujours très claire. » (6)
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