Le témoignage d’une militaire-chercheuse déployée en opération est une source d’enseignements en soulignant le rapport pas évident au quotidien entre l’accomplissement de la mission et la conduite d’un travail de recherche en sociologie. L’expérience acquise sur le terrain est au final un enrichissement.
Militaire et chercheuse : les enjeux du retour du terrain sensible
A Female Researcher in the Forces: the Challenges of Returning from Sensitive Areas
This account of a female member of the forces and researcher deployed on operations offers a number of lessons and underlines the relationship between accomplishing the mission and conducting sociological research—one that is not easily managed from day to day. The experience acquired in the field was of great value.
J’ai été déployée, pour la première fois, de mai à octobre 2019, en tant que cheffe d’équipe des opérations militaires d’influence au cœur du désert malien. Cette mission n’avait rien à voir avec la profession que j’exerçais sur le territoire national. En tant qu’officier-enseignante-chercheuse, mon quotidien était partagé entre des charges d’enseignement au profit des populations d’élèves-officiers de l’École de l’air, un doctorat en sciences politiques et des missions militaires classiques de permanence ou d’entraînement. Au Mali j’étais, avec mon équipier, le point de contact privilégié de la population locale dans ses échanges avec la force Barkhane.
Mon déploiement n’a d’abord pas été envisagé comme un terrain d’enquête pour ma thèse, mais bien comme une réponse à un besoin opérationnel des forces armées françaises. Néanmoins, je me suis rapidement rendu compte que cette mission et les formations qui y étaient associées m’offraient des opportunités inédites pour mon terrain d’enquête. En effet, mes travaux de doctorat portent, pour partie, sur les identités professionnelles militaires et les formations sur les opérations d’influence se déroulent dans un environnement interarmées, terrain privilégié pour observer les contractions identitaires. De plus, sur environ 190 personnes que comptait le groupement tactique désert auquel j’étais rattachée, seuls trois membres étaient identifiés comme aviateurs, tous appartenaient à l’Armée de terre. Ainsi, au cours des cinq mois passés en opération extérieure, j’ai été baignée dans un milieu quasi exclusivement terrien et majoritairement issu des troupes de montagne. Être immergée dans une « culture » qui m’était étrangère et avoir été confrontée à des identités organisées et partagées qui n’étaient pas les miennes ont été des éléments particulièrement enrichissants quant à mon objet d’étude.
Néanmoins, ce n’est pas tant ma mission sur place qui nous intéresse ici que mon retour. Négocier la dualité du statut de militaire et de chercheuse en rentrant de mission soulève de nombreux enjeux opérationnels et émotionnels, expérience concrète du terrain, et scientifiques, objectivation et production des savoirs.
Il reste 82 % de l'article à lire
Plan de l'article