Les trois théories de l'arme à neutrons
Pour répondre à la demande qui m’avait été présentée par la direction de la revue, j’ai tenté, dans les lignes qui suivent, de rassembler quelques réflexions personnelles sur les débats qui ont agité — et continuent d’agiter — l’opinion, en ce qui concerne « l’arme à neutrons ». Sans tomber dans une schématisation excessive, il me semble cependant que ces débats se sont toujours développés autour de trois théories principales.
La première théorie, que j’appellerai volontariste, consiste à penser que, en ayant à notre disposition une arme d’un type nouveau, nous devons nous demander s’il ne convient pas d’adopter une stratégie nouvelle tirant le meilleur profit des caractéristiques de cette arme. Dans cette théorie, on en arrive en fait au concept d’une défense nucléaire tactique, et même lorsque l’idée est poussée à l’extrême, à celui d’une véritable « ligne Maginot » nucléaire. Or, il est bien certain qu’une telle théorie poserait, dans sa mise en œuvre, de très nombreux problèmes, et en particulier celui de la localisation géographique : où installer une telle ligne de défense ? Devant le rideau de fer ? Mais alors, qui la commandera ? Comment y participerons-nous ? Ou alors à notre frontière elle-même, mais ne serait-ce pas créer matériellement un isolement du territoire, qui ne manquerait pas d’être interprété comme une proclamation de neutralisme de notre part ?
J’ajoute que nous ne sommes pas là en terrain absolument vierge et que cette théorie volontariste a déjà eu un précédent. Dans les années soixante, alors que nous étions encore dans l’organisation militaire intégrée, l’OTAN a envisagé la mise en place de mines nucléaires le long du rideau de fer, et en particulier dans les endroits qui étaient des points de passage obligés. Les études ont alors très vite montré que, d’une part sur le plan pratique, ce serait très difficile à réaliser et à mettre en œuvre, car il ne pouvait être question de les laisser en permanence en place ; d’autre part, il y avait là à considérer les délais pour obtenir l’autorisation de mise à feu. En effet, il n’est pas vraisemblable d’envisager qu’une arme nucléaire tactique, quelle qu’elle soit, puisse être tirée sans l’autorisation de l’autorité politique suprême. Dans le cas des mines nucléaires, les délais auraient été tels que l’adversaire aurait pu franchir la ligne avant que l’autorisation ne soit parvenue. Un autre aspect, enfin, a été déterminant, à savoir la réaction des Allemands. Ceux-ci ont dit alors, en effet : « Si l’on met tout le long de notre frontière un barrage de mines nucléaires, le premier Soviétique qui franchira cette frontière provoquera une explosion nucléaire sur notre sol, ce que nous n’admettons pas ».
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