Le volet numérique de la souveraineté est en pleine mutation tant les évolutions sont rapides et profondes. De fait, l’approche classique de la souveraineté est aujourd’hui fragilisée, obligeant à de nouvelles approches associant le citoyen, l’État, le privé et l’Europe pour construire une vraie résilience numérique.
La souveraineté numérique à l’épreuve de la métamorphose numérique
Digital Sovereignty Put to the Test by Digital Metamorphosis
Great changes are afoot wherever the digital world has an impact upon sovereignty. The rapidity and depth of current developments mean the conventional approach to sovereignty has been greatly weakened, and today we need to seek new approaches which bring together citizens, state and private investment as well as the structures of Europe in order to build true digital resilience.
Le vocable souveraineté numérique prend place aujourd’hui dans tous les discours, y compris au sein de l’Union européenne. Pour nous Français, il a un sens gaullien qui s’enracine dans la notion d’indépendance nationale. Le territoire délimite la souveraineté interne et externe à partir des frontières westphaliennes. Mais à l’heure de l’interconnexion des systèmes, du partage des données, de la domination de géants numériques, aujourd’hui américains et déjà chinois, la souveraineté numérique – celle qui porte notamment sur les réseaux, les informations, les normes – est remise en cause par le caractère extraterritorial et la privatisation du substrat (1) numérique. Alors qu’elle était consubstantielle à la notion d’État, il convient aujourd’hui de la « refonder ».
La souveraineté fragilisée
Les fondements de la souveraineté sont à rechercher dans les écrits de Bodin qui consacrent l’exclusivité des compétences législatives, exécutives et judiciaires (2). Plus récemment, Carré de Malberg évoque le territoire avec « une organisation d’où résulte une puissance suprême d’action, de commandement et de coercition » (3). Mais sous l’influence d’un Internet, apparemment « sans frontière », les États sont fragilisés, quand ils ne sont pas remis en cause. Le 9 février 1996, à Davos, John Perry Barlow, cofondateur de l’Electronic Frontier Foundation, prononçait sa célèbre « Déclaration d’indépendance du cyberespace » : « Gouvernements du monde industriel, vous géants fatigués de chair et d’acier, je viens du cyberespace, le nouveau domicile de l’esprit. Au nom du futur je vous demande à vous, du passé, de nous laisser tranquilles. Vous n’êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n’avez pas de souveraineté là où nous nous rassemblons » […]. Il s’agissait alors d’une réaction à chaud, après la libéralisation d’Internet par l’Administration Clinton-Gore, mais très représentative d’un mouvement libertaire qui ambitionne, aujourd’hui encore, de créer un « autre monde », à côté, ailleurs.
Tout en soulignant le caractère exagéré de cette déclaration, force est de constater que les éléments constitutifs de l’État sont remis en cause par la métamorphose (4) numérique : le pouvoir de faire la guerre est contesté par des cyberattaquants non étatiques ; le pouvoir de battre monnaie est affaibli par les nombreux cryptoactifs qui s’affranchissent des organismes monétaires centraux ; la création du droit est concurrencée par le code informatique (Code is law) (5), par les lois étrangères à portée extraterritoriale (6), les conditions générales d’utilisation (CGU) imposées par les GAMAM (Google, Apple, Meta [ex-Facebook], Amazon, Microsoft) ; le pouvoir de lever l’impôt est entravé par le découplage entre l’implantation des sièges de plateformes, « établissements stables » au sens fiscal du terme, et le lieu de création de valeur ; quant au pouvoir de rendre justice, la compétence spatiale du juge est contestée par l’extraterritorialité de nombreux contentieux de nature pénale, civile ou commerciale. Par ailleurs, les voies de communication, contrôlées par la puissance publique dans le monde physique, sont désormais presque entièrement dans les mains d’opérateurs privés.
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