La Révolution n’est pas terminée – Interventions 1981-2021
La Révolution n’est pas terminée – Interventions 1981-2021
« Nous sommes toujours agités par le spectre de la Révolution ». Professeur émérite de l’Université Paris 1-Panthéon Sorbonne, ancien directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française, Jean-Clément Martin est certainement l’un des meilleurs spécialistes de cette période. Son ambition dans ce petit livre qui reprend un certain nombre d’articles publiés par l’auteur depuis trente ans, est de « remettre en cause les idées toutes faites et les légendes pour aider à la maîtrise du passé et… à la fabrication du présent ». Pour l’auteur, l’histoire de la Révolution reste en effet beaucoup plus clivante que les autres grands moments de notre histoire récente (à l’exception de la période de l’Occupation, pourrions-nous ajouter). Si la Révolution n’est plus automatiquement vue comme un « régime totalitaire », Robespierre demeure l’épouvantail, ou le héros, qui donne le sens avec la « Terreur » en arrière-plan et le génocide vendéen comme repoussoir.
Le temps des révolutions commence en France en 1770. On parle alors de « révolution » pour critiquer les réformes lancées par de Maupéou, ministre de Louis XV. Le mot « révolution », terme désignant le retour des astres, identifie alors toutes les transformations politiques et sociales, et les coups d’État. Tous les pays du pourtour de l’Atlantique connaissent alors une vague de révoltes et de révolutions, dont les événements français de 1789 sont les derniers du cycle.
Ces troubles connaissent souvent la même évolution : « Les monarques sont tous incapables de contrôler les luttes politiques qu’ils ont provoquées sans les prévoir, les surenchères entraînées par des réformateurs déçus devenant révolutionnaires autant que par les refus des traditionalistes basculant dans la Contre-Révolution sans parler des rivalités avec les autres États, le tout basculant dans une radicalisation continue. »
Jusqu’au 14 juillet 1789, on ne parle pas en France de « révolution », mais de « régénération ». On emprunte ensuite le mot à l’air du temps. Il est employé notamment par « des étrangers, sidérés de voir que le roi, apparemment si puissant et si peu libéral, avalise la prise de la Bastille ». Le roi s’engage en effet de bonne foi dans cette entreprise, mais ne maîtrise pas les contradictions dans lesquelles il s’enferme, provoquant d’abord des conflits avec les aristocrates, puis avec les « patriotes ».
La conscience d’avoir franchi un cap devient manifeste en octobre 1789. La question religieuse (la constitution civile du clergé) agit comme un détonateur et cristallise les oppositions à la Révolution, ce qui se traduit par de véritables guerres civiles dans les villes et les villages de la moitié du pays. Les troubles sont aggravés par l’entrée en guerre aux frontières. Le résultat en est cette « révolution authentique du 10 août 1792 » (une « deuxième révolution » française pour Jean-Clément Martin). Les courants politiques s’affrontent alors dans une surenchère permanente jusqu’en mars 1794 lorsque les deux Comités accaparent la légitimité et éliminent leurs opposants de gauche (hébertistes) et de droite (indulgents). Mais il faut attendre Thermidor pour voir apparaître un régime révolutionnaire organisé et centralisé. La mise en place du Directoire en 1795, débouche alors sur une stabilisation et consacre la réorganisation de la France qui avait commencé vingt-cinq ans auparavant.
La leçon à tirer de cette période révolutionnaire se résume dans la fameuse expression « la force des forces », formule employée par Robespierre, Saint-Just, Mallet du Pain, puis Chateaubriand. Pour l’auteur, en effet, « la Révolution s’est faite à marche forcée, dans l’enchaînement des conflits et du jeu des pesanteurs, sans que personne ne la prépare ni ne la conduise ». Les acteurs de la Révolution ont été plus soumis aux forces en mouvement qu’ils ne les ont contrôlées.
Une bonne moitié du livre est consacrée à la guerre de Vendée et à ses représentations. « La Vendée, miroir de l’histoire de France » pour l’auteur, qui met à jour une « lutte ininterrompue entre deux des grands récits de la nation, autour desquels la société française s’est construite ».
Jean-Clément Martin refuse ainsi la qualification de génocide à propos des massacres commis par les douze colonnes du général Turreau (les « colonnes infernales »), sans l’aval de la Convention semble-t-il. Il n’y aurait donc eu pour l’auteur qu’« une exécution militaire, dans le droit fil de ce que des armées avaient pu faire ailleurs, avec, en plus, le recours à l’idéologie révolutionnaire pour masquer des horreurs et des crimes sadiques ». En résumé : « des crimes de guerre, mais pas de projet génocidaire ». Cette idée est reprise dans plusieurs chapitres du livre, ce qui montre bien la préoccupation de l’auteur pour cette question. Ainsi : « La guerre de Vendée ne fut pas une destruction génocidaire mais… le résultat de concurrences politiques laissant la voie libre à des troupes mal commandées, abandonnées à leurs peurs et à leurs instincts les plus bas, avant que, une fois la menace vendéenne contenue, le pouvoir central se débarrasse de ces hommes d’une façon ou d’une autre ». Pour l’auteur, un génocide « suppose qu’il y ait eu définition de critères désignant un groupe humain à détruire, mise en place de procédures et de moyens ». On doit toutefois se souvenir que cette « guerre civile » a malgré tout fait plus de 200 000 morts, chiffre à mettre en regard avec les quelque 30 000 exécutions décidées par les tribunaux de la Révolution pendant toute la période et sur tout le territoire.
Jean-Clément Martin procède aussi dans ce livre à un certain nombre de mises au point utiles. Ainsi, la faction politique des « Girondins » n’aurait en fait jamais existé. Ce terme est une invention de Lamartine qui date de 1847. La distinction qui les opposerait au groupe des Montagnards est ainsi relativement floue. On assistait plutôt à l’époque à « des arrangements liés aux circonstances et à des alliances tactiques ».
De même, stricto sensu, la « Terreur » ne sera jamais mise « à l’ordre du jour » comme on le lit parfois (le 5 septembre 1793, la Convention le refuse). Ce n’est qu’un mois après la chute de Robespierre que Tallien et Fouché qualifient les deux années précédentes de « Terreur » et les identifient avec une dictature sanglante. Les « robespierristes », avec les sans-culottes, deviennent alors des « terroristes ». Ils le resteront jusque dans les années 1970. Jean-Clément Martin nous montre ainsi que, contrairement à ce qu’il qualifie de « véritable fake news propagée par le député Tallien » le 28 août 1794, lorsqu’il déclara à la Convention que c’est Robespierre qui « imposa la Terreur à la France », ce dernier ne fut aucunement le « dirigeant suprême » que l’on imagine et au contraire que « son influence ne fut maximale qu’au printemps 1794 avant que ce prestige ne lui vaille d’être calomnié avec une rare efficacité au moment de sa mort ».
Enfin, et c’est un sujet qui est évoqué de temps en temps dans le débat politique français, la Constitution de 1793 affirme effectivement la souveraineté du peuple et instaure son droit à l’insurrection (article 35), mais elle n’est jamais entrée en vigueur. Jean-Clément Martin fait le point sur cette question dans un chapitre fouillé et argumenté. ♦