L’usage quasi universel des smartphones constitue désormais un enjeu pour la sécurité des opérations navales. La notion de sillage numérique devient une problématique au regard de la dépendance croissante aux réseaux sociaux et à la connexion numérique. Cela exige une nouvelle discipline pour les équipages.
Welfare et haute intensité : une tension au cœur des opérations navales
Welfare and High Intensity: Tension at the Heart of Naval Operations
The almost universal use of smart phones now represents a challenge for the security of naval operations. The digital footprint is becoming a problem, given the growing dependence on social networks and digital communications. A new discipline is needed for ships’ crews.
Voici deux ans, nous avions exposé dans ces colonnes (1) nos réflexions sur les risques que fait peser l’usage immodéré des technologies individuelles sur les marins embarqués. Nous avions alors laissé en arrière-plan le risque opérationnel, nous concentrant sur l’enjeu de la régulation des usages dans un souci de performance des équipages. Depuis, l’Ukraine est passé par là, éclairant d’une lumière crue les risques opérationnels liés à l’utilisation des smartphones par les soldats russes et ukrainiens. Dans le même temps, l’horloge générationnelle tournant et l’emprise du numérique dans notre quotidien s’étendant un peu plus chaque jour, la dépendance de nos équipages aux objets connectés n’a fait que croître.
Durcissement du contexte d’un côté, augmentation de la dépendance de l’autre. Qu’en retirer ? Un constat et une exigence. Un constat : une tension croissante entre exigence opérationnelle et aspirations personnelles, dont nous avons pu mesurer l’ampleur lors de nos derniers déploiements opérationnels en Méditerranée et en océan Indien. Une exigence : surmonter cette tension et éviter l’impasse. Sans prétendre faire le tour d’une problématique aux multiples facettes humaines et techniques, les lignes qui suivent entendent y contribuer.
Quelque part en Méditerranée…
07 h 00, quelque part en Méditerranée. Dans le central opérations de la Frégate multimissions (FREMM) Bourgogne, la tension est palpable. Une frappe de missiles de croisière navals est imminente, chaque opérateur s’affaire à préparer une séquence qui ne doit souffrir aucune improvisation. L’ordre de feu ne devrait plus tarder, permettant à la FREMM de neutraliser, à plusieurs centaines de kilomètres de sa position, des systèmes de défense sol-air ennemis situés dans la profondeur de la masse terrestre. Pour garantir la surprise et assurer sa sûreté, la Bourgogne cherche depuis plusieurs jours à se « diluer » dans les eaux de la Grande Bleue, afin d’effacer les traces de sa présence. Une manœuvre, jusqu’ici plutôt réussie, qui a permis à la frégate, durant la nuit, de se positionner à quelques dizaines de kilomètres des côtes en toute discrétion. L’équipage a reçu comme consigne, depuis plusieurs jours, d’éteindre son téléphone portable. Il est 08 h 00, la relève de quart sonne. Quittant son quart au PC sécurité, un marin sort prendre l’air sur les extérieurs. Dans sa poche, son téléphone portable est allumé, carte SIM en place, géolocalisation activée, comme à son port base de Toulon. Il a bien entendu parler de cette consigne d’extinction des téléphones portables à bord, mais ne l’a pas appliquée : après tout, comment faire pour son réveil ou écouter sa musique ? Machinalement, il sort son téléphone et s’aperçoit qu’un réseau 4G est perceptible. Profitant de cette connectivité inattendue, il ouvre Snapchat et commence à échanger avec ses contacts. 08 h 20 : au central opérations, alors qu’on se prépare à tirer pour 08 h 30, la situation bascule brutalement. Une salve de six missiles antinavires supersoniques est détectée par les radars de la Bourgogne. La surprise a brusquement changé de camp. Se ressaisissant, la frégate met en œuvre sans délai son système d’autodéfense… Mais il est trop tard : deux missiles frappent de plein fouet la Bourgogne, qui doit désormais lutter pour sa survie. Depuis l’aileron où il était avec son téléphone, notre marin n’a eu le temps de voir qu’un grand brasier alors qu’il était projeté au sol par l’onde de choc.
Il reste 85 % de l'article à lire
Plan de l'article