La justice pénale internationale : un instrument idoine pour raisonner la raison d’État ?
La justice pénale internationale : un instrument idoine pour raisonner la raison d’État ?
À l’heure où l’on se demande si les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité perpétrés en Ukraine par l’armée russe, seront poursuivis, et leurs principaux responsables jugés, l’ouvrage de Roger K. Koudé professeur de droit international et titulaire de la Chaire UNESCO « Mémoire, Cultures et Interculturalité » à l’Université catholique de Lyon, expert auprès des organisations internationales, tombe à point nommé. Si l’importance de la justice pénale internationale dans l’évolution du monde n’est plus à démontrer, maigres ont été jusqu’à présent ses résultats, tant les obstacles se sont accumulés pour juger les dirigeants des manquements au droit de la guerre.
De toute évidence, l’émergence progressive de la justice pénale internationale, avec in fine l’instauration de la Cour pénale internationale (CPI), – unique juridiction pénale internationale permanente à vocation universelle –, apparaît comme l’une des réponses face aux crimes qui heurtent la conscience de l’humanité. La création de cette juridiction, dont la compétence est complémentaire de celle des États, apparaît comme une injonction faite à l’État afin d’assurer pleinement l’une de ses missions originelles, la fonction de protection de la sécurité de toutes les personnes se trouvant sous sa juridiction. La légitimité ainsi que la crédibilité de l’État tiennent à la réalisation de cette mission de protection, notamment contre les crimes les plus sérieux. C’est aux États que revient la responsabilité principale dans la sanction des crimes et c’est en cas de carence que le recours aux juridictions pénales internationales, recours d’exception, se justifie.
Pour l’auteur, la justice pénale internationale fait partie intégrante de la stratégie globale de la Communauté mondiale dans la recherche de la paix et de la sécurité dans le monde, par la sanction pénale des crimes les plus graves qui relèvent de sa compétence matérielle. Malgré les efforts déployés par la Commission européenne, aucun consensus n’a été dégagé, pour le moment, sur la création réclamée par Kiev d’un Tribunal spécial chargé de condamner les crimes d’agression commis par la Russie. Dès lors, il ne reste, dans l’attente d’une nouvelle réflexion, qu’à s’appuyer sur la Cour pénale internationale (CPI) dont la procédure est longue. Or, en matière d’agression, il est exclu de poursuivre des accusés ayant la nationalité d’un État ou ayant perpétré l’agression sur le territoire d’un État qui n’aurait pas accédé au Statut de Rome, ce qui est le cas de la Russie et, plus étrangement, de l’Ukraine. De plus, l’insistance sur l’imputabilité individuelle peut parfois détourner l’attention de responsabilités plus collectives et structurelles.
Ces obstacles juridiques, si pertinents soient-ils, devront trouver une solution conforme au droit et à l’équité : en la matière, la communauté mondiale se doit d’être imaginative. Pour être véritablement universelle et dire le droit au nom de toute l’humanité, la justice internationale ne devrait-elle pas quelque peu se « désoccidentaliser », à la fois dans sa conception même, ainsi que dans sa pratique effective et, à cette occasion, intégrer d’autres visions de l’humanité ou de la sanction des crimes contre l’humanité, comme ce fut le cas notamment en Afrique du Sud avec la Commission de vérité et de réconciliation (CVR) ou encore au Rwanda avec les instances gacaca (tribunaux communautaires villageois). ♦