Foreword
Avant-Propos
La guerre d’Ukraine – surtout si, comme certains, on l’envisage comme le prologue à une confrontation mettant aux prises les États-Unis et leurs alliés d’une part, la Chine partenaire stratégique de la Russie et leurs soutiens d’autre part –, polarise toutes les analyses stratégiques aujourd’hui. Celles-ci sont désormais dominées par la prévision d’affrontements militaires futurs ainsi que par le constat d’une course accélérée aux armements qui les favorisent. Les discours ambiants sont frappés du sceau du fatalisme avec lequel on semble accueillir comme inéluctable, pour la suite du XXIe siècle, la récurrence des conflits, leur intensification certaine, voire leur transformation en une confrontation systémique touchant à la fois l’Europe et l’Asie. Partout on réarme, de l’Allemagne au Japon en passant par l’Iran et les pays du Golfe.
Réfléchir, dans ce contexte, aux « conditions de la paix future », comme l’ambitionnait au départ le cycle 2023 de la chaire Grands enjeux stratégiques contemporains, ce n’était pas sacrifier à je ne sais quel pacifisme, ce n’était pas prôner non plus n’importe quels accommodements. Face à la Russie agresseuse de l’Ukraine ou face à l’Iran, à la Corée fauteurs de troubles, une politique de fermeté s’impose. La sauvegarde de la paix implique de ne pas fléchir. La paix cependant est une construction, elle ne se construit pas sans principe, encore faut-il qu’il y ait d’abord une volonté de la construire.
La paix, en effet, ne s’appréhende pas comme un état de fait ou une situation donnée. C’est une édification pour partie établie sur les rapports de forces militaires, économiques et politiques, mais aussi sur des mécanismes de réassurance, sur des procédures de régulation, sur le droit, c’est-à-dire sur autant de préalables nécessaires à la création ou la restauration d’un climat de confiance que ce soit au niveau mondial ou local.
Depuis plus d’un demi-siècle, en tout cas à partir de la période dite de la détente au temps de la guerre froide et plus encore après la chute du mur de Berlin, le monde vivait en paix, une longue paix relative épargnant les grandes puissances. Ce qui, mis à part la période qui suivit le congrès de Vienne de 1815 à 1870, constitue une situation historique insolite.
Beaucoup des postulats qui conditionnaient cette paix mondiale depuis la fin des années 1980 – paix qu’il faut bien qualifier d’imparfaite dans la mesure où elle tolérait nombre de conflits d’ajustement ne la remettant pas en cause — ne sont plus opérants ou aussi efficaces. La force de la dissuasion nucléaire s’est relativisée, la logique du désarmement s’est enrayée, les mécanismes traditionnels de régulation internationale sont en panne et aucune règle n’a été inventée pour gérer l’apparition de nouveaux acteurs irréguliers ou les nouvelles dimensions de conflictualités que représentent l’espace ou le cyber.
C’est pourquoi, après la guerre d’Ukraine et à la différence des conflits qui l’ont précédée au cours des trente dernières années, on ne peut plus envisager que la paix demain soit produite par un simple mouvement de balancier où tout redeviendrait normal, tout rentrerait dans l’ordre par miracle. La fin des hostilités dans le Donbass ne réglera pas les dommages infligés à l’Ukraine, à l’Europe et au monde. La construction d’une paix mondiale durable suppose la définition de nouveaux paramètres et la recherche de nouveaux équilibres.
Voilà les réflexions qui ont présidé au choix de la thématique retenue pour le 10e anniversaire de la Chaire.
Le cycle de conférences 2023, inauguré par M. François Hollande, ancien président de la République, a permis d’accueillir, en faisant varier les points de vue, les interventions de M. Thierry de Montbrial (président de l’Institut français des relations internationales, Ifri), Mme Nathalie Tocci (directrice de l’Institut des Affaires internationales, IAI, Rome), MM. Bertrand Badie (Professeur des universités en science politique, IEP de Paris), Bruno Tertrais (directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, FRS), Alain Frachon (éditorialiste au journal Le Monde), Thomas Diez (Professeur de science politique, Université de Tübingen), Jean-Maurice Ripert (Ambassadeur de France), Stéphane Bouillon (Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, SGDSN) et Azar Gat (directeur du Département de science politique, Université de Tel Aviv).
Ces personnalités ont abordé des thèmes nombreux allant des problématiques posées par la guerre en Ukraine aux enjeux sécuritaires de l’environnement, en passant par les aménagements de la dissuasion nucléaire, les difficultés du multilatéralisme ou encore la déstructuration de l’ordre international. Ils ont cherché à comprendre pourquoi et en quoi la paix dégénérait gravement aujourd’hui. Ils ont exploré les voies qui permettraient de contrer sa dégradation, sinon irrémédiable. Force est de constater néanmoins que dans ces articles écrits alors que les canons tonnent en Ukraine, la paix a bien du mal à seulement se faire entendre. ♦