Philippe Rondot maître espion
Philippe Rondot maître espion
Une biographie attendue pour éclairer, si cette entreprise est possible s’agissant d’un homme de l’ombre, le parcours exceptionnel de cet homme parfois mal connu et méconnu (1936-2017). Curieusement, en effet, la carrière de ce militaire atypique qui a été un de nos plus grands agents secrets, a connu deux « accidents » qui ont terni et, en quelque sorte, encadré sa carrière. L’un à ses débuts alors qu’il était en poste à Bucarest au Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE, future DGSE) et a provoqué en définitive son éviction de ce service et l’autre, à la fin, avec l’affaire Clearstream qui l’a conduit devant les tribunaux.
L’auteur dresse, avec la rigueur de l’agrégé d’histoire, un portrait très attachant de cet homme, sans rien cacher de sa face sombre, en appuyant notamment sa recherche sur les carnets, « le journal de marche » rédigé tout au long de sa vie sur les conseils de son père, Pierre Rondot.
Auparavant, son travail de recherche met bien en évidence l’importance de la double influence familiale qui a constitué le socle de sa personnalité. Une influence militaire et une influence arabisante. Son grand-père et son père sont des officiers de carrière, mais surtout son père, employé au service du renseignement au Levant basé à Beyrouth, va devenir un des principaux spécialistes du monde musulman (1) à l’ombre de Robert Montagne et de Louis Massignon, et va se constituer un réseau de personnalités, notamment kurdes, que, plus tard, son fils Philippe saura entretenir et utiliser.
L’auteur brosse le portrait d’un homme complexe, solitaire, ayant le goût du risque, un espion secret, voire trop secret mais avec le halo du romantisme de l’aventurier ayant le goût du risque, le sens de l’honneur et de la fidélité, l’intelligence et la séduction. De ce portrait très fouillé émergent trois composantes qui ont façonné sa personnalité et inspiré son action. On y retrouve ainsi étroitement imbriqués le militaire, l’homme du renseignement et l’intellectuel.
Militaire, Philippe l’a d’abord été par tradition familiale, puis plus directement comme saint-cyrien de la promotion Maréchal Bugeaud (1958-1960). Il se distingue dans la guerre d’Algérie par son courage et ses qualités d’entraîneur d’hommes. Toute sa vie, il restera au contact de ses compagnons d’arme pour terminer comme chargé de mission auprès de deux ministres de la Défense. À la sortie de la guerre d’Algérie, sa demande de mutation au Service action du SDECE va lui servir de sas, sans jeu de mots, pour son entrée dans le monde du renseignement qu’il ne quittera plus.
Après ce long préambule, peut-être un peu trop long, l’auteur s’attache à retracer une vie consacrée aux missions de renseignement et d’action à travers le monde, mais aussi à montrer avec quelle habileté Philippe Rondot a su « naviguer » dans les méandres du renseignement français pour finir par s’imposer comme son coordinateur.
Après l’épisode roumain, Rondot de retour au Service action affirme ses qualités d’organisateur d’opérations de sécurité et entame son parcours d’expert des questions moyen-orientales. Son exclusion du SDCE lui donnera l’occasion, à quelque chose malheur est bon, de s’imposer, à l’image de son père Pierre Rondot, comme un des meilleurs spécialistes du Proche-Orient et du Moyen-Orient et de sa complexité, et ainsi d’être régulièrement « consulté ». Il apprend aussi à communiquer avec les journalistes. Toutefois, c’est avec l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand et les premières vagues d’attentats que Philippe Rondot, rattaché à la Direction de la surveillance du territoire (DST) va vraiment jouer un rôle capital dans le renseignement français : la neutralisation d’Abou Nidal (2) (2002), l’enlèvement de Carlos (3) (1994), la libération des otages, les négociations secrètes, l’affaire des moines de Tibhirine (1996), les missions en ex-Yougoslavie, l’auteur ne cache rien des réussites et des échecs, et montre que pendant plus de trente ans notre héros sera au cœur du renseignement français. Revenu au cabinet du ministre de la Défense (1997-2005), il jouera le rôle de Coordinateur national du renseignement et des opérations spéciales.
Philippe Rondot est un homme de terrain, ayant le goût de l’aventure, un solitaire, il aime se rendre sur place, quitte à prendre des risques physiques. Il cloisonne beaucoup et cultive le secret, même pour ses proches collaborateurs. S’il est un homme d’action, c’est aussi un homme de réflexion. Dans le sillage de son père, le général Pierre Rondot, il acquiert une connaissance remarquable du Moyen-Orient et de la complexité des enjeux. Docteur en sociologie politique, il enseigne, écrit, fréquente toutes les institutions qui travaillent sur les relations internationales avec une constante, renforcer les liens entre la France et le monde arabe.
Cet ouvrage, qui s’appuie sur un travail de recherche très fouillé, rend enfin justice à un homme dont le rôle central dans le renseignement français pendant plus de trente ans a été déterminant pour la sécurité de la France. Une carrière brillante, qui s’est malheureusement terminée dans la confusion et la dérision de l’affaire Clearstream. On peut regretter toutefois que dans cette biographie le début de la carrière de Philippe Rondot soit traité un peu longuement et que l’éditeur n’ait pas relevé la répétition des pages 138-139. ♦
(1) NDLR : Ils en ont d’ailleurs fait profiter les lecteurs de la Revue, le père signant 115 articles et le fils 21, en cours de numérisation complète (80 %).
(2) Fondateur du Fatah-Conseil révolutionnaire (Fatah-CR) ayant organisé de nombreux attentats mortels.
(3) Ilich Ramírez Sánchez de son vrai nom, ce terroriste vénézuélien est actuellement incarcéré en France pour les assassinats et attentats commis sur le sol français.