Climate Security in the Anthropocene. Exploration des approches des États membres du Conseil de sécurité des Nations unies
Climate Security in the Anthropocene. Exploration des approches des États membres du Conseil de sécurité des Nations unies
De nombreux travaux académiques ont été réalisés sur la question de la « sécurisation » et de la « risquification » du changement climatique par le Conseil de sécurité des Nations unies, organe exécutif de l’ONU chargé principalement du maintien de la paix et de la sécurité internationale. L’ouvrage dirigé par Judith Nora Hardt, Cameron Harrington, Franziskus von Lucke, Adrien Estève et Nicholas P. Simpson (1) renouvelle la littérature existante en proposant la première évaluation systématique des différentes perceptions et conceptions de la sécurité climatique des quinze États-membres permanents et non permanents du Conseil en 2020.
Rédigé par des chercheurs de presque tous les pays concernés, l’ouvrage est composé de quinze études de cas expliquant comment les acteurs politiques étudiés ont abordé le lien entre climat et sécurité depuis 2007 à l’échelle nationale, et comment chaque pays s’est positionné dans les débats du Conseil de sécurité sur la sécurité climatique. Les auteurs ont ainsi développé un cadre d’analyse innovant proposant une approche dynamique de la sécurité climatique, où le changement climatique peut être appréhendé par les autorités publiques à travers trois concepts : la sécurité nationale, la sécurité humaine et la sécurité écologique.
Considérer le changement climatique comme une question de sécurité nationale implique de donner la priorité à la sécurité de l’État. Les conflits violents, l’instabilité nationale ou régionale et les migrations sont alors au centre des préoccupations. Les cas américain (Chad M. Briggs, chercheur à l’Université John Hopkins) et français (Adrien Estève) révèlent l’intégration du changement climatique dans cette première approche, conduisant à son incorporation dans la planification et les pratiques militaires de manière générale. Dans le cas du Niger (Ousseyni Kalilou), le changement climatique a été de plus en plus pris en compte dans la planification des risques du secteur de la défense concernant la violence armée, les migrations ou le terrorisme.
L’approche axée sur la sécurité humaine met l’accent sur le bien-être des individus ou des groupes. Les menaces liées au dérèglement climatique peuvent ainsi relever de la raréfaction des ressources, des préjudices individuels liés à l’augmentation des migrations irrégulières, des conditions météorologiques extrêmes et de la propagation des maladies. Juha A. Vuori illustre comment la sécurité climatique en Chine est présentée comme une question de sécurité humaine concernant l’ensemble de l’humanité plutôt que la sécurité nationale chinoise, tout en montrant une réticence paradoxale à « sécuriser » la question dans les débats du Conseil. La Tunisie s’est activement engagée au sein du Conseil pour mettre à l’ordre du jour les implications sécuritaires du changement climatique, en accordant une importance prédominante à la sécurité alimentaire dans sa réflexion nationale et internationale (Adrien Estève et Clara Personat, chercheuse au Centre interdisciplinaire d’études et de recherches sur l’Allemagne). Bien qu’elle reconnaisse que le changement climatique constitue une menace pour la sécurité humaine dans le pays, l’Afrique du Sud a d’abord remis en question la légitimité du Conseil de sécurité à intégrer la sécurité climatique dans son mandat (Birgitt Ouweneel, professeure à l’Université du Cap, et Nicholas P. Simpson).
Alors que les pays du « Sud global » accordent davantage d’importance à la sécurité humaine dans leurs politiques nationales pour faire face aux effets du changement climatique, des pays comme l’Allemagne (Franziskus von Lucke), le Royaume-Uni (Cameron Harrington) ou la France utilisent principalement ce cadre conceptuel pour intégrer le changement climatique dans leurs initiatives de développement ou leurs approches diplomatiques au sein du Conseil. Vo Dao Chi (chercheuse au Southern Institute of Social Sciences, Hô Chi Minh-ville) met en lumière le cas du Vietnam, pays qui entremêle les conceptions nationales et humaines dans sa réflexion sur le changement climatique à l’échelle nationale et internationale, en insistant sur l’insécurité alimentaire et hydrique en tant que facteur de rivalités en matière de ressources, notamment en mer de Chine du Sud.
Enfin, appréhender le changement climatique du point de vue de la sécurité écologique implique de mettre en valeur les interconnexions socio-écologiques et la nécessité de maintenir et de restaurer les systèmes naturels en raison de perturbations majeures d’origine humaine. Dans la plupart des quinze cas étudiés, cette approche n’a pas été particulièrement influente en tant qu’argument autonome. Ainsi, la sécurité écologique est davantage combinée à la sécurité humaine autour des questions de sécurité alimentaire, hydrique ou financière, comme le montrent les discours et positions d’acteurs politiques tels que Saint-Vincent-et-les-Grenadines (Rose-Ann Smith, chercheuse à l’Université des Indes occidentales, Jamaïque), l’Indonésie (I. Gede Wahyu Wicaksana et Yohanes William Santoso, maîtres de conférences respectivement à l’Université d’Airlangga et à l’Université Amikom Yogyakarta en Indonésie), la République dominicaine (Ana Sofia Ovalle, consultante spécialisée sur l’environnement et le climat) ou la Belgique (Amandine Orsini, professeure à l’Université Saint-Louis, Bruxelles). Le cas estonien met en évidence l’interdépendance des trois approches dans sa réflexion sur le changement climatique à l’échelle nationale, appelant le Conseil à adopter une approche systématique (Ramon Loik, chercheur de l’Estonian Academy of Security Sciences, et Evelin Jürgenson, professeure à l’Estonian University of Life Sciences). Le cas de la Russie fait figure d’exception. Ilya Stepanov développe que le changement climatique n’est toujours pas considéré comme une menace significative, tant en termes de sécurité nationale, humaine, qu’écologique, la Russie refusant son inscription à l’ordre du jour du Conseil.
Ainsi, cet ouvrage présente de manière approfondie et exhaustive la diversité et l’évolution des significations attribuées à la sécurité climatique, offrant un large aperçu des membres du Conseil grâce à un cadre d’analyse novateur. Il est vivement recommandé à tous ceux qui s’intéressent aux nouveaux enjeux stratégiques que représentent les changements climatiques pour les secteurs de la défense nationale et internationale. ♦
(1) Judith Nora Hardt est chercheuse à l’Université d’Hambourg et à l’Institut for Peace and Security Policy.
Cameron Harrington est enseignant-chercheur à la School of Government and International Affairs (Université de Durham).
Franziskus von Lucke est chercheur postdoctorant à l’Université de Tübingen.
Adrien Estève est postdoctorant CNRS au Centre de recherches internationales (Sciences-Po CERI) et résident à l’Irsem.
Nicholas P. Simpson est chercheur à l’Initiative africaine pour le climat et le développement de l’Université du Cap (Afrique du Sud).