La guerre en Ukraine – de par sa longueur et son intensité – expose les problématiques du droit international. L’émergence de nouveaux acteurs institutionnels ou privés remettant en cause les principes de Jus in Bello interroge et oblige à réfléchir sur l’issue du conflit, notamment sur la notion de « Frontière ».
La guerre russo-ukrainienne : éléments d’histoires et de droit international
The Russia-Ukraine War: Elements of History and International Law
The duration and intensity of the war in Ukraine is exposing problems with international law. The arrival of new institutional and private actors is calling into question the principles of jus in bello, and compelling us to question and reflect on the outcome of the conflict and, especially, on what constitutes a border.
L’écrivain Benoist-Méchin décrivait l’Ukraine comme le « fantôme de l’Europe (1) », son existence nationale et politique pouvant susciter interrogations et scepticisme (2). L’union des Slaves et des Vikings constituera la principauté de Kiev dont procédera la Russie. La conquête mongole, puis la montée en puissance des monarchies polonaises et moscovites amèneront les différentes communautés ukrainiennes, pour préserver leur autonomie, à jouer un jeu d’équilibre entre les souverains polonais et russes, jusqu’à tomber dans l’orbite russe. L’Ukraine à la jonction d’empires rivaux, d’affrontements idéologiques et militaires constitue au XXe siècle le cœur de ce que l’historien américain Timothy Snyder appelle « les terres de sang (3) » qui verront entre 1920 et 1945 – hors affrontements militaires – mourir plus de quatorze millions de personnes. Depuis 2014 et avec encore plus d’acuité depuis 2022, l’Ukraine se retrouve engagée dans une lutte implacable qui toutefois consacre son existence par l’épreuve des armes.
L’Ukraine entre inexistence politique et existence juridique
Difficile à percevoir pour les Occidentaux, la renaissance de l’Ukraine comme État constitué dans l’histoire contemporaine repose sur un paradoxe politico-militaire : la victoire des vaincus. Si pour les Français la Première Guerre mondiale est synonyme de victoire, côté allemand, la défaite incontestable à l’ouest se double d’une victoire non moins indubitable à l’Est face à la Russie. La renaissance ukrainienne initiée par l’ataman Skoropadsky et Symon Petlioura n’apparaîtra que comme une créature fantoche des armées allemandes et sera contestée aussi bien par les Russes blancs, les Bolcheviks, les groupes anarchistes de Nestor Makhno et les Polonais du Maréchal Pilsudski.
Le Traité de Brest-Litovsk signé le 3 mars 1918 entre l’Allemagne et le pouvoir bolchevique obéit à un double objectif : sécuriser leur flanc oriental et s’assurer l’approvisionnement en matières premières pour les Allemands ; gagner du temps en sacrifiant des territoires pour les Soviétiques. Pour les signataires, cet accord n’est perçu que comme provisoire. Les modifications de frontières lors des différents combats aboutiront à l’intégration de l’Ukraine occidentale au sein de la Pologne (4) (5). Lénine, désireux de se démarquer de l’Empire russe, va œuvrer pour qu’une République socialiste d’Ukraine soit créée – en 1922 – afin d’attirer vers les Bolcheviks des peuples susceptibles de soutenir des pouvoirs hostiles. Si beaucoup de théoriciens « néo-staliniens » condamnent la politique des nationalités de Lénine, les efforts de Staline et Molotov visant à faire reconnaître l’Ukraine et la Biélorussie – dès 1945 – comme membres à part entière de l’Organisation des Nations unies sont souvent occultés (6). Désirant éviter l’ostracisme dont l’URSS avait fait l’objet avec la Société des Nations (SDN), soucieux de promouvoir leurs républiques, la présence de la Biélorussie et de l’Ukraine permettait à l’URSS de disposer de trois voix lors des votes à l’Assemblée générale contrebalançant son isolement au sein du Conseil de sécurité (7). Au-delà des arrière-pensées du Kremlin, cette présence à l’ONU – même si ces entités ne disposaient d’aucune indépendance effective – leur a permis d’être internationalement reconnus.
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