Armistice
Armistice
Une fois n’est pas coutume, c’est un roman qui est l’objet de la présente recension. Mais, pas n’importe quel roman, et pas écrit par n’importe qui. Il s’agit du dernier livre du général Le Nen, dont l’ouvrage précédent Petites mémoires d’outre-guerre avait déjà enthousiasmé le landernau militaire, et même largement au-delà.
Ici, le général Le Nen, à la tête du Commandement pour les opérations interarmées (CPOIA), nous donne une fiction, qui se lit à deux degrés : d’abord une intrigue qui se noue entre plusieurs personnages aux destins croisés lors de la « longue marche » des prisonniers du vietminh à Diên Biên Phu, vers le camp qui sera pour nombre d’entre eux, le camp de la mort. Bien évidemment, ce n’est pas le lieu ici de dévoiler cette intrigue et encore moins son dénouement. Pour cela, il faut se plonger dans le roman, mais il faut savoir, que dès que l’on s’y attelle, on ne le lâche plus.
Il est quand même possible, sans risque de tout dévoiler, d’indiquer la nature des trois personnages principaux, un jeune lieutenant cyrard, qui n’a pas encore perdu ses illusions, même en fin de séjour en Indochine ce qui lui donne toute sa fraîcheur, un sous-officier du Bataillon étranger parachutiste (BEP), ancien commandant de compagnie de la Wehrmacht à Stalingrad, où il a été fait prisonnier (déjà !), revenu de tout, mais qui cache sous son écorce brutale apparente une grande sensibilité et beaucoup de pragmatisme, et enfin, un « rat de la Nam Youn » (1), à qui on s’attache quand même, en dépit du scandale de sa position de déserteur.
Le tout est remarquablement rendu, la 317e Section en mieux, et du Lartéguy « militaire » qui se serait enfin débarrassé de son encombrante tunique journalistique ; en effet, comme le ton est toujours juste, sans aucune fausse note, et que chaque personnage respecte les codes militaires convenus et inhérents à sa situation, la rédaction ne sombre jamais dans la caricature, comme c’est trop souvent le cas dans ce genre de littérature. Enfin, mais le lecteur ne s’en rend compte que dans les dernières pages, lorsqu’il découvre le dénouement de cette histoire, tout au long de la trame de son récit, le général Le Nen ouvre des portes qui donneront accès à cet épilogue. À cet égard, l’unité de temps et de lieu fournie par la marche des prisonniers donne toute sa charpente au récit, et donc une grande cohérence, et cet artifice de rédaction permet aux nombreux retours en arrière opérés par l’auteur de parfaitement s’emboîter les uns dans les autres, et évite au lecteur de s’y perdre. Même l’élément féminin n’en est pas absent, mais à sa place, et très discret.
Bref, c’est le livre d’un général écrit pour des lieutenants, qui ne manqueront pas de s’y retrouver, même si la période en question évoque plutôt pour eux un peu la Préhistoire ! Mais, comme le général Le Nen n’est pas général pour rien et encore moins par hasard, cette intrigue se lit aussi au second degré, seconde lecture de l’ouvrage : chacun des personnages principaux a en effet un armistice à conclure avec lui-même dans la mesure où ils ont tous un cadavre dans le placard de leur vie passée. Cette approche donne lieu à une remarquable étude sur le commandement, la férocité voire l’inhumanité de la guerre en regard de la légitimité de la violence guerrière. Ici également, le ton est juste, jamais donneur de leçon, rien que des soldats faits de chair et d’os, mais aussi de cervelle et de cœur, en situation de combat. In fine, chacun des trois personnages en question signera son armistice avec lui-même à sa façon, parfois de manière inattendue. Cette lecture passionnera les lieutenants, mais aussi les plus anciens qui y trouveront matière à réflexion, voire pour les très anciens, de quoi rallumer leurs souvenirs, parfois enfouis bien loin, maintenant. Ce livre permettra également au monde civil de prendre conscience de la réalité de l’institution militaire, bien éloignée de clichés qui ont souvent la vie dure.
Bref, un ouvrage qui possède toutes les qualités pour mériter un réel et brillant succès à l’occasion de cette rentrée littéraire, et une idée de cadeau pour les fêtes qui approchent.
Mon général, vite, un autre livre !
(1) NDA : Nom peu flatteur donné aux déserteurs des points d’appui, qui, pour fuir les combats, se sont réfugiés dans les rizières le long de la rivière Nam Youn qui coulait au fond de la vallée de Diên Biên Phu. Là où il n’y a jamais eu aucun combat.